Chapitre
IV
Constitution
pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps
Gaudium
et Spes
7
décembre 1965
La 4ème
constitution est le document le plus long du Concile. C’est aussi le dernier document
à avoir été promulgué, le 7 décembre 1965, à la veille de la clôture de
l’assemblée conciliaire. Gaudium et Spes
est une constitution pastorale.
Certains catholiques remettent aujourd’hui en question son autorité en
prétextant qu’elle est justement « pastorale » par opposition à
« dogmatique » (cf. Les constitutions sur l’Eglise et la révélation
divine qualifiées de « dogmatiques »)[1].
Le discours d’ouverture du concile par le pape Jean XXIII avait déjà indiqué la
tonalité « pastorale » de ce concile. Mais dans l’Eglise la pastorale
ne peut pas se concevoir comme étant indépendante de la foi. La pastorale est
certes distincte du dogme mais elle s’en inspire, elle en est même l’expression
vivante à chaque époque de l’histoire de l’Eglise. Ce sont d’ailleurs les pères
conciliaires eux-mêmes qui ont établi clairement le lien entre Gaudium et Spes
et Lumen Gentium. Il n’y a pas
deux Eglises, l’une dogmatique et l’autre pastorale. Mais deux approches
différentes de l’unique mystère de l’Eglise : « C’est pourquoi, en
supposant acquis tout l’enseignement déjà fixé par le Concile sur le mystère de
l’Église, ce chapitre va maintenant traiter de cette même Église en tant
qu’elle est dans ce monde et qu’elle vit et agit avec lui » (40,1). On a
aussi reproché à cette constitution son trop grand optimisme[2]
par rapport au monde moderne. En fait les pères conciliaires ont eu une nette
conscience des changements qui se produisaient alors dans la société civile et
des conséquences que ces changements auraient sur la vie religieuse de leurs
contemporains. Ils ont compris que ces changements affectaient en profondeur et
très rapidement la vie de la société dans toutes ses dimensions. Et cela avant
le grand bouleversement de mai 1968 ! La constitution parle d’ « un âge nouveau » de l’histoire
du genre humain (4,2) et d’ « une véritable métamorphose sociale
et culturelle dont les effets se répercutent jusque sur la vie
religieuse » (4,2). Le vocabulaire utilisé est varié pour tenter de
caractériser la nouveauté de « la condition humaine dans le monde
d’aujourd’hui » : changements, métamorphose, transformation,
ébranlement, mutation, évolution… Confrontés à « une évolution aussi
rapide » (8,1) des mentalités et des conditions de la vie sociale, les
pères conciliaires ont suivi l’orientation donnée par Jean XXIII qui ne voulait
pas d’un concile condamnant une fois de plus « les erreurs modernes »[3].
D’où le ton optimiste de la constitution pastorale. Cet optimisme n’est en fait
que la conséquence de l’espérance chrétienne. Cet optimisme reflète le regard
de Dieu créateur et sauveur sur notre humanité. En même temps l’optimisme de Gaudium et Spes ne saurait se confondre
avec un aveuglement sur les dangers et les tentations qui accompagnent cet âge
nouveau. Il suffit de lire le texte pour constater que ceux qui l’ont pensé, rédigé
et approuvé n’étaient pas des naïfs. Un seul exemple le prouvera :
« Ainsi le monde moderne apparaît à
la fois comme puissant et faible, capable du meilleur et du pire, et le
chemin s’ouvre devant lui de la liberté ou de la servitude, du progrès ou de la
régression, de la fraternité ou de la haine. D’autre part, l’homme prend
conscience que de lui dépend la bonne orientation des forces qu’il a mises en
mouvement et qui peuvent l’écraser ou le servir » (9,4). Le monde moderne
en tant que monde en devenir, marqués par des changements importants et
nombreux (esprit scientifique et critique, urbanisation, média[4],
migrations, remise en question des valeurs reçues, condition de la femme,
indépendance de nations en voie de développement) n’est ni bon ni mauvais en
lui-même. Le mot « lumière » est très souvent utilisé pour qualifier
la démarche de l’Eglise vis-à-vis de ce monde en transformation. C’est la
lumière qui vient du Christ Sauveur et de son Evangile. Et c’est bien dans
cette lumière que les pères conciliaires ont tenté de connaître et de
comprendre « la condition humaine dans le monde d’aujourd’hui »
(exposé préliminaire). « L’Église a
le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter
à la lumière de l’Évangile » (4,1) et « mû par la foi, se sachant
conduit par l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers, le Peuple de Dieu
s’efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de
notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les
signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes choses d’une lumière nouvelle et
nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l’homme,
orientant ainsi l’esprit vers des solutions pleinement humaines » (11,1).
« Le Concile, témoin et guide de la foi de tout le Peuple de Dieu
rassemblé par le Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de
solidarité, de respect et d’amour à l’ensemble de la famille humaine, à
laquelle ce peuple appartient, qu’en dialoguant avec elle sur ces différents
problèmes, en les éclairant à la lumière
de l’Évangile, et en mettant à la disposition du genre humain la puissance
salvatrice que l’Église, conduite par l’Esprit Saint, reçoit de son
Fondateur » (3,1). Dans le sillage de l’encyclique Ecclesiam Suam du pape Paul VI, le Concile entend donc dialoguer avec « l’ensemble de la
famille humaine ». A la fin de la constitution cette notion de
dialogue[5]
sera reprise comme l’une des caractéristiques essentielles de la relation que
l’Eglise veut nouer avec ce monde marqué par une évolution rapide et radicale
(92). L’exposé préliminaire montre combien il était important pour les pères
conciliaires de faire cet effort de
connaissance et de compréhension de la condition humaine, et cela avec un
regard bienveillant, cherchant à mettre en valeur tout ce qui est bon, afin de
lui apporter la lumière de l’Evangile : « Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous
vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique[6] »
(4,1). Une autre critique a aussi été faite à cette constitution pastorale
promulguée en 1965. Elle aurait en grande partie « vieilli » et
serait donc « dépassée » puisque le monde de 2012 n’est plus le même
que celui de 1965. Cette critique n’est pas recevable pour la première partie
de Gaudium et Spes, « L’Eglise
et la vocation humaine ». Dans cette partie le Concile présente en fait l’anthropologie chrétienne :
« C’est en effet l’homme qu’il s’agit de sauver, la société humaine qu’il
faut renouveler. C’est donc l’homme, l’homme considéré dans son unité et sa
totalité, l’homme, corps et âme, cœur et conscience, pensée et volonté, qui
constituera l’axe de tout notre exposé » (3,1). Le magnifique exposé
philosophique et théologique des pères conciliaires sur la condition humaine
est toujours d’actualité. Et c’est sur cet « humanisme chrétien » que nous mettrons donc l’accent dans la
présentation du texte conciliaire. La deuxième partie de Gaudium et Spes, « De quelques problèmes plus urgents »,
correspond dans une certaine mesure à la critique signalée plus haut[7].
C’est logique puisque cette partie de l’exposé est moins théorique, davantage
soucieuse de coller à l’actualité. Alors, par exemple, que l’écologie est une
préoccupation dans le magistère actuel de l’Eglise et dans l’enseignement de sa
doctrine sociale[8], le
Concile n’en parle pas. Voilà un thème sur lequel Gaudium et Spes est en effet un texte dépassé. Mais pour le reste
on peut au contraire affirmer que la constitution pastorale du Concile est
traversée par un réel souffle prophétique et témoigne d’une intelligence
admirable de la nouveauté de la situation historique de l’humanité[9].
Sans utiliser le concept plus récent de « mondialisation », les pères
conciliaires avaient bien pressenti que l’humanité se dirigeait vers cette
réalité nouvelle. Les grands thèmes qui sont abordés demeurent les thèmes essentiels de la doctrine
sociale de l’Eglise aujourd’hui. Le fait que Gaudium et Spes ait été, par la suite et jusqu’à aujourd’hui, de
très nombreuses fois cité comme une référence démontre que pour le magistère de l’Eglise cette constitution demeure un texte
faisant autorité autant pour sa profonde vision de l’anthropologie chrétienne
que pour sa conception des rapports de l’Eglise avec le monde. Jean-Paul II
a souvent cité Gaudium et Spes dans
son enseignement, en particulier dans ses encycliques (GS 22 et 24 constituent
les fondements de la réflexion du pape sur l’homme). Gaudium
et Spes est cité 43 fois par le
Catéchisme pour adultes des évêques de France (1991), 225 fois par le Catéchisme de l’Eglise catholique
(1992) et 168 fois par le Compendium de
la doctrine sociale de l’Eglise (2005). On peut ainsi affirmer qu’avec Lumen
Gentium la constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps
fait partie des textes fondamentaux du Concile. C’est cette constitution,
davantage que tous les autres documents de Vatican II, qui a le mieux traduit
et exprimé le souhait d’aggiornamento
du bienheureux pape Jean XXIII et la nécessité d’adapter à la situation
nouvelle la manière de concevoir les rapports de l’Eglise avec le monde.
« Les joies et
les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des
pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les
espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne
trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des
hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur
marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut
proposer à tous. La communauté des
chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre
humain et de son histoire » (GS 1).
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La constitution
pastorale du Concile s’adresse à tous les hommes (GS 2). L’Eglise veut mettre
au service de l’accomplissement de la vocation humaine la lumière qu’elle
reçoit du Christ : « Aucune
ambition terrestre ne pousse l’Église ; elle ne vise qu’un seul but :
continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’œuvre même du Christ,
venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour
condamner, pour servir, non pour être servi » (GS 3,2). → Lumen Gentium 8. « L’Eglise… n’est pas faite pour chercher une
gloire terrestre mais pour faire éclater aux yeux, par son exemple aussi,
l’humilité et l’abnégation ».
Exposé
préliminaire : La condition humaine dans le monde
d’aujourd’hui (4-10)
L’âge nouveau de
l’histoire du genre humain, objet de la réflexion des pères conciliaires,
présente une valeur ambivalente tant du point de vue humain que
religieux : « Les conditions nouvelles affectent enfin la vie
religieuse elle-même. D’une part, l’essor de l’esprit critique[10]
la purifie d’une conception magique du monde et des survivances
superstitieuses, et exige une adhésion
de plus en plus personnelle et active à la foi[11],
nombreux sont ainsi ceux qui parviennent à un sens plus vivant de Dieu. D’autre
part, des multitudes sans cesse plus denses s’éloignent en pratique de la
religion » (GS 7,3). Déjà en 1965, trois ans avant le choc de 1968, les
évêques catholiques réunis en concile pressentaient que la pratique de la foi
chrétienne allait connaître un bouleversement sans précédent. L’Eglise allait
devoir passer de la chrétienté ou d’une adhésion majoritaire et sociologique au
christianisme à l’état de « minorité créative[12] »
(Benoît XVI) qui est le sien depuis maintenant des années, et cela bien avant
la prise de conscience opérée par le Concile. Cette nouvelle situation allait
exiger des chrétiens une foi de conviction et pas seulement de tradition. Déjà
en 1965 le Concile se faisait le porte parole des « peuples de la
faim » interpellant « les peuples de l’opulence » (GS 9,2)[13].
En recentrant l’Eglise sur son Seigneur et son Maître, « clé, centre et
fin de toute histoire humaine », en renonçant à toute « ambition
terrestre », le Concile a voulu faire resplendir la lumière de l’Evangile
sur le monde contemporain : « C’est pourquoi, sous la lumière du
Christ, image du Dieu invisible, premier-né de toute créature, le Concile se propose de s’adresser à tous,
pour éclairer le mystère de l’homme (première
partie) et pour aider le genre humain à découvrir la solution des problèmes
majeurs de notre temps (deuxième partie) »
(GS 10,2).
Première
partie : L’Eglise et la vocation humaine (11-45)
Chapitre premier :
La dignité de la personne humaine[14]
(12-22)
« La réciprocité des services que sont
appelés à se rendre le Peuple de Dieu et le genre humain, dans lequel ce peuple
est inséré, apparaîtra alors avec plus de netteté : ainsi se manifestera le caractère religieux et, par le fait
même, souverainement humain de la mission de l’Église » (GS 11,3).
Comme nous l’avons déjà vu le dialogue caractérise la relation que l’Eglise
désire entretenir avec ce monde en pleine mutation. Dans le dialogue les deux
partenaires se situent au même niveau. L’Eglise veut se faire la servante de la
vocation humaine et elle renonce à se considérer au-dessus du monde, dans une
position de domination[15].
Ce passage de Gaudium et Spes va très
loin en affirmant « la réciprocité des services » entre le Peuple de
Dieu et le genre humain. L’Eglise, dépositaire de la vérité évangélique, donne
sa lumière à notre monde et elle accepte dans le même mouvement de recevoir du
genre humain « un service ». Cette affirmation sera reprise au numéro
44 de la constitution : « De même qu’il importe au monde de
reconnaître l’Église comme une réalité sociale de l’histoire et comme son
ferment, de même l’Église n’ignore pas tout ce qu’elle a reçu de l’histoire et
de l’évolution du genre humain. […] L’Église constate avec reconnaissance
qu’elle reçoit une aide variée de la part d’hommes de tout rang et de toute
condition, aide qui profite aussi bien à la communauté qu’elle forme qu’à
chacun de ses fils. En effet, tous ceux qui contribuent au développement de la
communauté humaine au plan familial, culturel, économique et social, politique
(tant au niveau national qu’au niveau international), apportent par le fait
même, et en conformité avec le plan de Dieu, une aide non négligeable à la
communauté ecclésiale, pour autant que celle-ci dépend du monde
extérieur ». Le passage du n°11 cité plus haut affirme aussi ce qui est au
fondement même de toute la doctrine
sociale de l’Eglise : l’impossibilité qu’il y a à séparer l’aspect
religieux de la mission ecclésiale de son engagement au service de l’homme.
L’Eglise est indissociablement fidèle à
Dieu et à l’homme (GS 21,1). Cette union entre le caractère religieux et
par conséquent le caractère humain de la mission de l’Eglise est réaffirmée à
la fin de la première partie de la constitution : « Certes, la
mission propre que le Christ a confiée à son Église n’est ni d’ordre politique,
ni d’ordre économique ou social : le but qu’il lui a assigné est d’ordre
religieux. Mais, précisément, de cette mission religieuse découlent une
fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à
affermir la communauté des hommes selon la loi divine. De même, lorsqu’il le
faut et compte tenu des circonstances de temps et de lieu, l’Église peut
elle-même, et elle le doit, susciter des œuvres destinées au service de tous,
notamment des indigents, comme les œuvres charitables et autres du même
genre » (42,2).
Avant d’entrer dans le
détail du chapitre premier il convient de regarder la structure d’ensemble de la première partie, « L’Eglise et la vocation humaine ».
En lui-même le titre de la première partie est révélateur de l’intention des
pères conciliaires. Non pas « L’Eglise et l’humanité » mais
« L’Eglise et la vocation humaine ». L’homme sera donc considéré
surtout du point de vue de sa finalité humaine et divine. L’homme existe pour
s’accomplir selon la vocation qui est la sienne, à la fois humaine et divine.
« L’Église, pour sa part, qui a reçu la mission de manifester le mystère
de Dieu, de ce Dieu qui est la fin ultime de l’homme, révèle en même temps à
l’homme le sens de sa propre existence,
c’est-à-dire sa vérité essentielle » (41,1). C’est donc à la lumière de
l’Evangile, dans un dialogue bienveillant avec l’homme contemporain et en se
sentant solidaire de ses aspirations et de ses interrogations, que le Concile
veut présenter à tous, croyants et incroyants, sa vision de l’homme. L’anthropologie chrétienne de la première
partie de Gaudium et Spes est
bien cette lumière venant du Christ pour éclairer le mystère de notre condition
humaine et dans le même mouvement révéler le sens de l’existence humaine sur
cette terre. Voilà le grand service que le Concile veut offrir à tous les
hommes de bonne volonté. Cette anthropologie chrétienne part de la personne humaine (chapitre premier)
pour s’étendre ensuite à la communauté
humaine (chapitre II) et enfin de l’être à l’agir (l’activité humaine dans l’univers, chapitre III). Cet ordre dans le
traitement de la question de la vocation humaine reflète le personnalisme de la
magnifique vision de Gaudium et Spes.
La dignité de la personne humaine
constitue le fondement de l’humanisme chrétien. Et c’est donc par là qu’il
faut commencer pour situer à leur juste valeur le caractère social de l’homme
ainsi que son activité dans l’univers.
L’homme
à l’image de Dieu (12)
Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise
108-114
La
dignité propre à l’homme a son origine dans le fait qu’il a été créé à l’image
de Dieu. Dès le début du chapitre premier le Concile
insiste sur la nature profonde de l’homme à partir du couple homme/femme :
« L’homme […] est un être social, et, sans relations avec autrui, il ne
peut vivre ni épanouir ses qualités ». Cela annonce le chapitre II qui
traitera de la communauté humaine. Le n°12 de la constitution pastorale
présente l’anthropocentrisme comme une évidence pour tous, croyants et
incroyants. En 2012 certains mouvements écologistes radicaux remettent en question
cette vision des choses. Pour eux l’homme n’est ni le centre ni le sommet de
l’univers. Il est plutôt vu comme une menace, un être dangereux capable de se
détruire lui-même ainsi que son environnement. De même dans certains mouvements
extrémistes de défense des droits des animaux l’espèce humaine est présentée
comme une espèce animale parmi les autres. La convergence de fait qui existait
en 1965 entre l’humanisme chrétien et l’humanisme athée n’est plus une évidence
de nos jours. Cette évolution confirme bien les mises en garde du Concile quant
aux conséquences de l’athéisme sur la conception que l’homme se fait de
lui-même et de sa propre dignité : « La créature sans Créateur s’évanouit. […] L’oubli de Dieu rend opaque
la créature elle-même » (36,3). L’humanisme athée peut en effet se
retourner contre l’homme qu’il prétend exalter : « Nous sommes, en
effet, exposés à la tentation d’estimer que nos droits personnels ne sont
pleinement maintenus que lorsque nous sommes dégagés de toute norme de la loi
divine. Mais, en suivant cette voie, la dignité humaine, loin d’être sauvée,
s’évanouit » (41,3). Les philosophes qui ont essayé de réfléchir sur la
nature humaine ont souvent été tentés par deux options opposées comme en
témoigne Blaise Pascal dans ses Pensées.
« Ou bien il s’exalte lui-même comme une norme absolue, ou bien il se
rabaisse jusqu’au désespoir : d’où ses doutes et ses angoisses » : On
retrouve dans cette manière de poser le problème et dans la voie qui est
ensuite proposée pour le résoudre la méthode propre à Blaise Pascal, même s’il
n’est pas cité. « Instruite par la Révélation divine, elle peut y apporter
une réponse, où se trouve dessinée la
condition véritable de l’homme, où sont mises au clair ses faiblesses, mais
où peuvent en même temps être justement reconnues sa dignité et sa
vocation ». L’anthropologie des Pensées
opère une admirable synthèse entre la misère et la grandeur de l’homme, celle
de l’humanisme chrétien : « Il est dangereux de trop faire voir à
l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Et il est
encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est
encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre, mais il est très
avantageux de lui représenter l’un et l’autre. »[16]
Le
péché (13)[17]
Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise
115-119
L’anthropologie du
Concile part de la dignité de l’homme en tant que créature de Dieu. Ce n’est
pas le péché qui doit être considéré en premier. Toutefois ne pas tenir compte
du péché dans la vie de l’homme nous empêche de comprendre pourquoi il présente
en sa personne ce mélange de grandeur et de misère. Le péché des origines comme
la réalité du péché personnel nous est connu par la Révélation divine. Notre
expérience du mal confirme bien l’enseignement de la révélation : « Dans la lumière de cette Révélation, la
sublimité de la vocation humaine, comme la profonde misère de l’homme, dont
tous font l’expérience, trouvent leur signification ultime ». Ici
encore le style est pascalien. Car pour Pascal il est impossible de comprendre
notre condition humaine sans se référer à la révélation concernant le péché
originel : « Sans ce mystère le plus incompréhensible de tous nous
sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses
replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable
sans ce mystère, que ce mystère n’est inconcevable à l’homme[18] ».
Le péché est tout simplement ce qui empêche l’homme d’accomplir sa vocation en
brisant l’ordre et l’harmonie voulus par le Créateur : « Refusant
souvent de reconnaître Dieu comme son principe, l’homme a, par le fait même,
brisé l’ordre qui l’orientait à sa fin dernière, et, en même temps, il a rompu
toute harmonie, soit par rapport à lui-même, soit par rapport aux autres hommes
et à toute la création ». Il résulte de cela la misère dans laquelle
l’homme est plongé, misère d’un être divisé en lui-même et devant participer à
« une lutte combien dramatique entre le bien et le mal, entre la lumière
et les ténèbres ».
Constitution
de l’homme (14)
Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise
127-129
L’homme est présenté
par les pères conciliaires comme « un
résumé de l’univers », un microcosme. Contre tout dualisme est
affirmée l’unité personnelle du corps et
de l’âme. Le salut chrétien concerne en effet l’homme tout entier corps et
âme. « C’est donc la dignité même de l’homme qui exige de lui qu’il
glorifie Dieu dans son corps, sans le laisser asservir aux mauvais penchants de
son cœur ». Après avoir rappelé l’estime et le respect dus au corps
humain, le texte réaffirme l’existence d’une « âme spirituelle et
immortelle ». « L’homme ne se trompe pas lorsqu’il se reconnaît
supérieur aux éléments matériels et qu’il se considère comme irréductible, soit
à une simple parcelle de la nature, soit à un élément anonyme de la cité
humaine. Par son intériorité, il dépasse
en effet l’univers des choses : c’est à ces profondeurs qu’il revient
lorsqu’il fait retour en lui-même où l’attend ce Dieu qui scrute les cœurs et
où il décide personnellement de son propre sort sous le regard de Dieu ».
Cette affirmation de l’intériorité humaine rejoint la tradition issue de saint
Augustin. Et une fois de plus les accents sont pascaliens : « Ce
n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du
règlement de ma pensée. Je n’aurai point davantage en possédant des terres. Par
l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point, par la pensée je
le comprends[19] ».
En considérant que l’âme humaine est le « tréfonds même de la
réalité », propre à l’homme, le Concile rejoint l’enseignement de Pascal
sur « les trois ordres » : « La distance infinie des corps
aux esprits, figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la
charité, car elle est surnaturelle[20] ».
Dignité
de l’intelligence, vérité et sagesse (15)
Compendium
de la Doctrine sociale de l’Eglise 131
Une fois affirmée
l’unité personnelle du corps et de l’âme, la constitution aborde les facultés de l’homme en commençant
par l’intelligence, puis en traitant de la
conscience morale (16) et enfin de la liberté (17). Le texte répète à propos de
l’intelligence ce qui a déjà été dit de l’intériorité dans le numéro
précédent : l’homme « par sa
propre intelligence dépasse l’univers des choses ». L’objet de
l’intelligence ne se limite pas aux seules sciences et techniques mais va
jusqu’à ce que la philosophie appelle la métaphysique. A la suite de Platon et
contre Kant le Concile affirme la capacité de l’intelligence à aller au-delà
des seuls phénomènes : « L’intelligence ne se borne pas aux seuls
phénomènes ; elle est capable d’atteindre, avec une authentique certitude, la
réalité intelligible, en dépit de la part d’obscurité et de faiblesse que
laisse en elle le péché ». Sans cette capacité il nous serait impossible
d’affirmer avec le Concile Vatican I que l’homme par l’exercice de sa raison
peut connaître et affirmer l’existence de Dieu créateur. La perfection de
l’intelligence humaine se trouve dans la sagesse : « Celle-ci attire
avec force et douceur l’esprit de l’homme vers la recherche et l’amour du vrai
et du bien ; l’homme qui s’en nourrit est conduit du monde visible à
l’invisible. Plus que toute autre, notre
époque a besoin d’une telle sagesse, pour humaniser ses propres découvertes,
quelles qu’elles soient. L’avenir du monde serait en péril si elle ne
savait pas se donner des sages[21] ».
Dignité
de la conscience morale (16)[22]
Compendium
de la Doctrine sociale de l’Eglise 131
Si l’âme spirituelle et
immortelle était présentée comme « le tréfonds » de la réalité humaine,
la conscience « est le centre le
plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se
fait entendre ». La voix de la conscience nous invite à aimer et
accomplir le bien et à éviter le mal. « Au fond de sa conscience, l’homme
découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à
laquelle il est tenu d’obéir ». Selon la doctrine catholique il faut
toujours suivre ce que nous dicte la voix de notre conscience en ayant le souci
de former son sens moral : « il arrive souvent que la conscience
s’égare, par suite d’une ignorance invincible, sans perdre pour autant sa
dignité. Ce que l’on ne peut dire lorsque l’homme se soucie peu de rechercher
le vrai et le bien et lorsque l’habitude du péché rend peu à peu sa conscience
presque aveugle ».
Grandeur
de la liberté (17)[23]
Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise
135-137
La compréhension de la liberté humaine comme « un signe
privilégié de l’image divine » est à mettre en relation avec ce qui
vient d’être dit à propos de la voix de la conscience, nous invitant à aimer et
accomplir le bien. Car « c’est toujours librement que l’homme se tourne
vers le bien ». « Dieu a voulu le laisser à son propre conseil pour qu’il
puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui,
s’achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. La dignité de l’homme exige
donc de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par
une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives
ou d’une contrainte extérieure ».
Ce rappel de la liberté comme don de Dieu et caractéristique de la
créature humaine a des conséquences importantes sur la conception de la vie
morale et religieuse. Du point de vue moral c’est librement que l’homme doit
choisir d’obéir à la voix de sa conscience. Du point de vue religieux c’est
librement qu’il doit répondre à la révélation divine par l’acte de foi. Il y a
donc une cohérence très forte entre ce que dit ici Gaudium et Spes et la déclaration sur « la liberté
religieuse » (Dignitatis humanae,
promulguée le même jour que la constitution pastorale le 7 décembre 1965) ainsi
que le n°5 de Dei Verbum.
Le
mystère de la mort (18)
« C’est en face de
la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet. L’homme n’est
pas seulement tourmenté par la souffrance et la déchéance progressive de son
corps, mais plus encore, par la peur d’une destruction définitive. Et c’est par
une inspiration juste de son cœur qu’il rejette et refuse cette ruine totale et
ce définitif échec de sa personne. Le germe d’éternité qu’il porte en lui,
irréductible à la seule matière, s’insurge contre la mort. Toutes les
tentatives de la technique, si utiles qu’elles soient, sont impuissantes à
calmer son anxiété : car le prolongement de la vie que la biologie procure ne
peut satisfaire ce désir d’une vie ultérieure, invinciblement ancré dans son
cœur ». Face au mystère de la mort la seule philosophie est impuissante.
C’est la foi, s’appuyant sur la révélation divine, qui est en mesure de
répondre à l’interrogation angoissée de l’homme sur son propre avenir.
L’athéisme
(19-21)
Le Concile consacre
trois numéros de la constitution pastorale au problème de l’athéisme dans la
société contemporaine. Les pères conciliaires montrent par là leur prise de
conscience de l’expansion de l’athéisme. L’âge nouveau de l’histoire de
l’humanité dont il était question au n°4 se caractérise entre autres choses par
la sortie de la chrétienté en tant que
pratique majoritaire et sociologique du christianisme[24].
Autrefois les athées constituaient une exception dans des sociétés entièrement
régies par la doctrine chrétienne. C’étaient les libres penseurs des 17e
et 18e siècles, auxquels Pascal adressait d’ailleurs son apologie de
la religion chrétienne, Les Pensées.
En 1965 l’athéisme et l’indifférence religieuse étaient déjà devenus des
phénomènes de masse. C’est donc d’une manière nouvelle que l’Eglise considère
l’athéisme. Elle ne se contente pas, comme elle l’a fait très souvent tout au
long du 19e siècle et du 20e siècle, de condamner ce
phénomène qui « compte parmi les faits les plus graves de ce temps »
(19,1). Le mot « condamnation » est d’ailleurs absent. Il est
remplacé par la réprobation et le rejet : « L’Église, fidèle à
la fois à Dieu et à l’homme, ne peut cesser de réprouver avec douleur et avec
la plus grande fermeté… » (21,1) et « L’Église, tout en rejetant
absolument l’athéisme… » (21,6). Le Concile veut aller plus loin que le
simple rejet, évident de la part de l’Eglise, de l’athéisme : il veut
tenter de le comprendre, d’en connaître les causes éventuelles. C’est après
avoir fait l’effort de cet « examen très attentif » (19,1) que le
texte envisage quel remède l’Eglise peut proposer pour enrayer les progrès de
l’athéisme.
Formes
et racines de l’athéisme (19)
C’est à la lumière de
sa considération sur la dignité humaine (titre de la première partie) que le
Concile envisage le problème de l’athéisme. Parce que « l’aspect le plus sublime de la dignité
humaine se trouve dans cette vocation de l’homme à communier avec Dieu ».
L’athéisme est mauvais parce qu’il empêche l’homme d’accomplir en plénitude sa
vocation. Les pères conciliaires ont bien conscience que sous le nom commun
d’athéisme on désigne « des phénomènes entre eux très divers ». Et il
faudrait donc parler d’athéismes
pour mieux rendre compte de la complexité du problème abordé ici. Voici quelles
sont les différentes manifestations de l’athéisme contemporain :
-
Le
véritable athéisme théorique (certitude de la non-existence de Dieu)
-
L’agnosticisme
(« l’homme ne peut absolument rien affirmer » de Dieu)
-
Certaines
philosophies excluant Dieu du champ de la réflexion humaine comme un problème
« dénué de sens » ou sans intérêt
-
Le
scientisme et le positivisme (Dieu incompatible avec la science, Dieu inutile à
cause des progrès scientifiques)
-
Le
relativisme (aucune vérité n’est absolument définitive, donc la notion de dogme
est dépassée)
-
L’humanisme
laïciste
-
Les
fausses conceptions de Dieu (« D’autres se représentent Dieu sous un jour
tel que, en le repoussant, ils refusent un Dieu qui n’est en aucune façon celui
de l’Évangile »).
-
L’indifférence
ou « matérialisme pratique » (Gaudium
et Spes 10).
Ensuite le Concile
aborde rapidement quelques causes
possibles pouvant expliquer l’athéisme sous ses différentes formes :
« L’athéisme, en outre, naît souvent, soit d’une protestation révoltée
contre le mal dans le monde, soit du fait que l’on attribue à tort à certains
idéaux humains un tel caractère d’absolu qu’on en vient à les prendre pour
Dieu. La civilisation moderne elle-même, non certes par son essence même, mais
parce qu’elle se trouve trop engagée dans les réalités terrestres, peut rendre
souvent plus difficile l’approche de Dieu ».
Sans
nier la responsabilité des athées la constitution aborde aussi la responsabilité
des croyants dans la diffusion de l’athéisme. C’est une
démarche audacieuse et nouvelle pour l’époque. L’Eglise avait tendance à
toujours se considérer dans une relation manichéenne avec le monde, une
relation dans laquelle elle dominait, elle surplombait en le condamnant ce
monde mauvais. D’un côté les catholiques qui connaissent la vérité et agissent
selon le bien, et de l’autre les païens adhérant aux erreurs du monde moderne
et menant une vie débauchée. Cette vision simpliste n’a plus cours dans la
réflexion de Gaudium et Spes sur
l’athéisme. L’Eglise voulant se faire la servante de l’humanité réapprend aussi
l’humilité : « Les croyants eux-mêmes portent souvent à cet égard une
certaine responsabilité. Car l’athéisme, considéré dans son ensemble, ne trouve
pas son origine en lui-même ; il la trouve en diverses causes, parmi lesquelles
il faut compter une réaction critique en face des religions et spécialement, en
certaines régions, en face de la religion chrétienne. C’est pourquoi, dans
cette genèse de l’athéisme, les croyants peuvent avoir une part qui n’est pas
mince, dans la mesure où, par la négligence dans l’éducation de leur foi, par
des présentations trompeuses de la doctrine et aussi par des défaillances de
leur vie religieuse, morale et sociale, on peut dire d’eux qu’ils voilent
l’authentique visage de Dieu et de la religion plus qu’ils ne le
révèlent ».
L’athéisme
systématique (20)
L’athéisme
érigé en système provient d’une conception erronée de la liberté humaine :
« la liberté consiste en ceci que l’homme est pour lui-même sa propre fin,
le seul artisan et le démiurge de sa propre histoire ». Cet athéisme
proclame l’autonomie absolue de l’homme et rompt ainsi le lien vital existant
entre la créature et son Créateur. Sans parler explicitement du marxisme et du
communisme en tant que système politique[25],
le Concile fait une allusion très claire
à ces réalités : « Parmi les formes de l’athéisme contemporain, on ne
doit pas passer sous silence celle qui attend la libération de l’homme surtout
de sa libération économique et sociale. À cette libération s’opposerait, par sa
nature même, la religion, dans la mesure, où, érigeant l’espérance de l’homme
sur le mirage d’une vie future, elle le détournerait d’édifier la cité
terrestre. C’est pourquoi les tenants d’une telle doctrine, là où ils
deviennent les maîtres du pouvoir, attaquent la religion avec violence,
utilisant pour la diffusion de l’athéisme, surtout en ce qui regarde
l’éducation de la jeunesse, tous les moyens de pression dont le pouvoir public
dispose ». On reconnaît à travers ces lignes la célèbre formule de Marx
qui voit dans la religion « l’opium du peuple ». Tout au long de la
première partie il sera fait référence d’une manière ou d’une autre à l’importance de la critique marxiste
pour évaluer de manière correcte certains aspects de la mentalité contemporaine
(→ 34,3 ; 38,1 ; 39,2 et 43,1). Dans son encyclique Sauvés dans l’espérance le pape Benoît
XVI considère avec tout le sérieux qu’elle mérite l’objection de Marx à l’égard
du christianisme[26].
L’attitude
de l’Eglise en face de l’athéisme (21)
Tout en réprouvant avec
douleur l’athéisme comme contraire à la « noblesse native » de
l’homme, l’Eglise fait un effort de compréhension : « Elle s’efforce
cependant de saisir dans l’esprit des athées les causes cachées de la négation de Dieu et, bien consciente de la
gravité des problèmes que l’athéisme soulève, poussée par son amour pour tous
les hommes, elle estime qu’il lui faut soumettre ces motifs à un examen sérieux
et approfondi ». C’est au nom de la défense de la dignité de la personne
humaine et de sa vocation que le Concile répond aux objections que l’athéisme
adresse à la religion chrétienne. Le débat n’est donc pas seulement théorique,
il est pratique, car il a des incidences très concrètes sur la vie de l’homme
contemporain. « L’Église tient que
la reconnaissance de Dieu ne s’oppose en aucune façon à la dignité de l’homme,
puisque cette dignité trouve en Dieu lui-même ce qui la fonde et ce qui
l’achève. Car l’homme a été établi en société, intelligent et libre, par
Dieu son Créateur. Mais surtout, comme fils, il est appelé à l’intimité même de
Dieu et au partage de son propre bonheur. L’Église enseigne, en outre, que l’espérance eschatologique ne diminue pas
l’importance des tâches terrestres, mais en soutient bien plutôt
l’accomplissement par de nouveaux motifs. À l’opposé, lorsque manquent le
support divin et l’espérance de la vie éternelle, la dignité de l’homme subit
une très grave blessure, comme on le voit souvent aujourd’hui, et l’énigme de
la vie et de la mort, de la faute et de la souffrance reste sans solution :
ainsi, trop souvent, les hommes s’abîment dans le désespoir ». L’athéisme
peut donc condamner l’homme contemporain au désespoir tout en prétendant le
libérer du joug divin. L’argumentation du Concile n’est pas sans rappeler, une
fois de plus, celle de Pascal : « La connaissance de sa misère sans
celle de Dieu fait le désespoir[27] ».
Dans son projet d’apologétique de la religion chrétienne Pascal avait esquissé
le plan suivant : « Première partie : misère de l’homme sans
Dieu. Deuxième partie : félicité de l’homme avec Dieu[28] ».
La conclusion de la réflexion sur l’athéisme suit le même mouvement. A
l’athéisme qui conduit dans l’impasse du désespoir, le Concile oppose le message
de l’Eglise capable de combler toutes les attentes du cœur humain :
« Car l’Église sait parfaitement que son message est en accord avec le
fond secret du cœur humain quand elle défend la dignité de la vocation de
l’homme, et rend ainsi l’espoir à ceux qui n’osent plus croire à la grandeur de
leur destin. Ce message, loin de diminuer l’homme, sert à son progrès en
répandant lumière, vie et liberté et, en dehors de lui, rien ne peut combler le
cœur humain : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur ne connaît
aucun répit jusqu’à ce qu’il trouve son repos en toi. »
Il est essentiel de
relever quel remède les pères conciliaires proposent pour lutter contre
l’athéisme :
-
« Une
présentation adéquate de la doctrine »
-
« La
pureté de vie de l’Eglise et de ses membres »
C’est donc par une
catéchèse véritablement évangélique, adaptée aux besoins du monde contemporain,
et surtout par le témoignage d’une vie de charité que les catholiques pourront
amener les athées à se poser des questions : « C’est à l’Église qu’il
revient en effet de rendre présents et comme visibles Dieu le Père et son Fils
incarné, en se renouvelant et en se
purifiant sans cesse, sous la conduite de l’Esprit Saint. Il y faut surtout
le témoignage d’une foi vivante et
adulte, c’est-à-dire d’une foi formée à reconnaître lucidement les
difficultés et capable de les surmonter. D’une telle foi, de très nombreux
martyrs ont rendu et continuent de rendre un éclatant témoignage. Sa fécondité
doit se manifester en pénétrant toute la vie des croyants, y compris leur vie
profane, et en les entraînant à la justice et à l’amour, surtout au bénéfice
des déshérités. Enfin ce qui contribue le plus à révéler la présence de Dieu,
c’est l’amour fraternel des fidèles qui travaillent d’un cœur unanime pour la foi
de l’Évangile et qui se présentent comme un signe d’unité ». Dans son
encyclique Ecclesiam suam de 1964 le
pape Paul VI abordait la question du renouvellement de l’Eglise (2e
partie). Après le Concile il confiait à Jean Guitton sa conviction selon laquelle
« le christianisme est tendu vers sa propre réforme, et vers la réforme du
monde. Il est insatisfait par essence. Mais il est optimiste[29] ».
Le
Christ, homme nouveau (22)
A la fin de chacun des
4 chapitres de la première partie, les pères du Concile ressaisissent toute
leur réflexion dans la lumière du Christ et de son mystère pascal :
- Chapitre premier (la
dignité de la personne humaine) → n°22
- Chapitre II (la
communauté humaine) → n°32
- Chapitre III
(l’activité humaine dans l’univers) → n°38
- Chapitre IV (le rôle
de l’Eglise dans le monde de ce temps) → n°45
Comme nous l’avons déjà
dit le n°22 de la constitution pastorale du Concile est l’une des sources d’inspiration majeure de la pensée anthropologique du
pape Jean-Paul II. Il a cité très souvent deux passages de ce texte dans
ses enseignements :
-
« En
réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du
Verbe incarné. »
-
« Car,
par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout
homme. »
1. En réalité,
le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe
incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de celui qui
devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation
même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à
lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. Il n’est donc pas
surprenant que les vérités ci-dessus trouvent en lui leur source et
atteignent en lui leur point culminant.
2. « Image du Dieu invisible » (Col 1,
15), il est l’Homme parfait qui a restauré dans la descendance d’Adam la
ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu’en lui la nature
humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été
élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni
lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé
avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé
avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de
nous, en tout semblable à nous, hormis le péché.
3. Agneau innocent, par son sang librement
répandu, il nous a mérité la vie ; et, en lui, Dieu nous a réconciliés avec
lui-même et entre nous, nous arrachant à l’esclavage du diable et du péché.
En sorte que chacun de nous peut dire avec l’Apôtre : le Fils de Dieu « m’a
aimé et il s’est livré lui-même pour moi » (Ga 2, 20). En souffrant
pour nous, il ne nous a pas simplement donné l’exemple, afin que nous
marchions sur ses pas, mais il a ouvert une route nouvelle : si nous la
suivons, la vie et la mort deviennent saintes et acquièrent un sens nouveau.
4. Devenu conforme à l’image du Fils,
premier-né d’une multitude de frères, le chrétien reçoit « les prémices de
l’Esprit » (Rm 8, 23), qui le rendent capable d’accomplir la loi
nouvelle de l’amour. Par cet Esprit, « gage de l’héritage » (Ep 1,
14), c’est tout l’homme qui est intérieurement renouvelé, dans l’attente de «
la rédemption du corps » (Rm 8, 23) : « Si l’Esprit de celui qui a
ressuscité Jésus d’entre les morts demeure en vous, celui qui a ressuscité
Jésus Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par
son Esprit qui habite en vous (Rm 8, 11). Certes, pour un chrétien,
c’est une nécessité et un devoir de combattre le mal au prix de nombreuses
tribulations et de subir la mort. Mais, associé au mystère pascal, devenant
conforme au Christ dans la mort, fortifié par l’espérance, il va au-devant de
la résurrection.
5. Et cela
ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous
les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la
grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation
dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir
que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité
d’être associé au mystère pascal.
6. Telle est la
qualité et la grandeur du mystère de l’homme, ce mystère que la Révélation
chrétienne fait briller aux yeux des croyants. C’est donc par le Christ et
dans le Christ que s’éclaire l’énigme de la douleur et de la mort qui, hors
de son Évangile, nous écrase. Le Christ est ressuscité ; par sa mort, il a
vaincu la mort, et il nous a abondamment donné la vie pour que, devenus fils
dans le Fils, nous clamions dans l’Esprit : Abba, Père!
|
Chapitre II :
La communauté humaine (23-32)
But
poursuivi par le Concile (23)
Le Concile parle de
« la multiplication des relations entre les hommes », grâce en
particulier aux progrès techniques, ce que nous appellerions aujourd’hui la mondialisation. Cette évolution ne
garantit pas pour autant une communauté humaine plus unie : « Le
dialogue fraternel des hommes ne trouve pas son achèvement à ce niveau, mais
plus profondément dans la communauté des personnes et celle-ci exige le respect
réciproque de leur pleine dignité spirituelle. » Le raisonnement est
toujours le même : aux évolutions extérieures du monde moderne, souvent
profondes et rapides, doit correspondre une prise de conscience d’autant plus
vive de la dignité de la personne humaine. Le Concile se propose donc de
présenter, à la lumière de la Révélation, les « lois de la vie sociale,
que le Créateur a inscrites dans la nature spirituelle et morale de
l’homme ».
Caractère
communautaire de la vocation humaine dans le plan de Dieu (24)
Tous les hommes créés à
l’image de Dieu sont appelés de par leur nature même à constituer « une
seule famille » et à se traiter « mutuellement comme des
frères ». Tous les hommes ont une même vocation fondamentale qui est la
communion parfaite avec Dieu[30].
« À cause de cela, l’amour de Dieu et du prochain est le premier et le
plus grand commandement. » Puisque Dieu Créateur est Dieu Trinité et qu’Il
nous crée à son image, chaque homme est fait pour vivre non pas en solitaire
(n°12,4) mais dans la communion avec ses frères en humanité. Le passage qui
suit est aussi avec le n°22 l’une des
références majeures du Concile pour comprendre la pensée de Jean-Paul II sur
l’homme : « Il y a une
certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de
Dieu dans la vérité et dans l’amour. Cette ressemblance montre bien que
l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut
pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. »
Interdépendance
de la personne et de la société (25)
Compendium
de la Doctrine sociale de l’Eglise 149-151
« Le caractère
social de l’homme fait apparaître qu’il y a interdépendance entre l’essor de la
personne et le développement de la société elle-même. En effet, la personne
humaine qui, de par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale, est
et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions. »
La vie sociale peut donc aider puissamment l’homme à grandir « selon
toutes ses capacités » et à répondre ainsi à sa vocation. A la nature
intime de l’homme correspondent deux aspects de la vie sociale : la
famille et la communauté politique (Cf. la deuxième partie de la constitution,
chapitres premier et IV). La
socialisation a des aspects positifs et négatifs sur l’accomplissement de
la vocation humaine dans le monde moderne. « On ne peut cependant pas nier
que les hommes, du fait des contextes sociaux dans lesquels ils vivent et baignent
dès leur enfance, se trouvent souvent détournés du bien et portés au mal.
Certes, les désordres, si souvent rencontrés dans l’ordre social, proviennent
en partie des tensions existant au sein des structures économiques, politiques
et sociales. Mais, plus radicalement, ils proviennent de l’orgueil et de
l’égoïsme des hommes, qui pervertissent aussi le climat social. Là où l’ordre
des choses a été vicié par les suites du péché, l’homme, déjà enclin au mal par
naissance, éprouve de nouvelles incitations qui le poussent à pécher : sans
efforts acharnés, sans l’aide de la grâce, il ne saurait les vaincre. » Le
Concile nous parle ici du rapport complexe entre ce que l’on appellera plus
tard « les structures de péché » et la responsabilité de chacun dans
l’amélioration ou la dégradation de la vie sociale.
Promouvoir
le bien commun (26)[31]
Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise
164-170
La notion de bien
commun fait partie des affirmations essentielles de la doctrine sociale de
l’Eglise : « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant
aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une
façon plus totale et plus aisée ». La promotion du bien commun est
inséparable de la promotion du « bien des personnes » « puisque l’ordre des choses doit être subordonné à
l’ordre des personnes et non l’inverse[32]. »
Le bien des personnes consiste en tout ce qui peut favoriser la dignité de la
personne humaine, donc ses droits et ses devoirs « universels et
inviolables » : « Il faut donc rendre accessible à l’homme tout ce dont il a besoin pour mener une vie
vraiment humaine[33],
par exemple : nourriture, vêtement, habitat, droit de choisir librement son
état de vie et de fonder une famille, droit à l’éducation, au travail, à la
réputation, au respect, à une information convenable, droit d’agir selon la
droite règle de sa conscience, droit à la sauvegarde de la vie privée et à une
juste liberté, y compris en matière religieuse[34]. »
C’est ce que Maurice Zundel a appelé un « espace de sécurité[35] ».
Sans cet espace de sécurité la personne humaine peut difficilement faire de sa
vie « un espace de générosité », c’est-à-dire un espace dans lequel
sa dignité est respectée, un espace dans lequel elle peut pleinement se trouver
par le don désintéressé d’elle-même (n°24) et ainsi accomplir sa vocation
humaine. Il ressort de cette réflexion que la justice sociale (n°29) est une
condition essentielle de la promotion du bien commun.
Respect
de la personne humaine (27)
Compendium
de la Doctrine sociale de l’Eglise 132-134
A notre époque nous
parlons plus volontiers du respect de la vie humaine. Je reproduis ci-dessous
intégralement ce numéro de Gaudium et
Spes car il me semble d’une grande actualité. Il est urgent aujourd’hui de
s’imprégner d’une vision globale et cohérente
du respect de la personne humaine. Un certain militantisme chrétien pro-life venant des Etats-Unis
d’Amérique est en train de gagner du terrain parmi les catholiques français. Or
ce militantisme ne correspond que partiellement à l’enseignement de l’Eglise et
réduit le respect de la vie humaine à des domaines ciblés comme, par exemple,
l’avortement. D’un côté on milite contre l’avortement, de l’autre on est
partisan du droit à porter des armes, de la peine de mort et de la guerre en
Irak. D’un côté on s’indigne contre la contraception remboursée[36],
et de l’autre on refuse tout engagement écologique dans un pays qui compte
parmi les plus grands pollueurs de la planète. Cette contradiction a pu
atteindre des sommets et devenir un terrible contre-témoignage lorsque des
fanatiques « pro-life » ont décidé qu’il fallait tuer les médecins
avorteurs[37] !
Mais elle s’exprime aussi dans le rejet républicain de la loi d’Obama sur la
santé publique, loi qui semble tout de même être un progrès[38].
16% des américains étaient jusqu’à présent exclus des soins en cas de maladie.
Le respect de la vie ne saurait se partager. Certes la vie des enfants à naître
et des vieillards est particulièrement faible, donc à protéger. Il n’en reste
pas moins vrai qu’entre notre naissance et le moment de notre mort nous sommes
des vivants, des créatures de Dieu créées à son image et selon sa ressemblance.
Respecter la vie c’est donc aussi créer des conditions favorables à
l’épanouissement de tous et de toutes dans une société humaine, juste et
fraternelle. Respecter la vie c’est par conséquent se battre pour que tous les
hommes aient des conditions de vie dignes. La misère, les injustices,
l’exploitation de l’homme par l’homme, les inégalités croissantes entre une
élite de privilégiés et une masse de laissés pour compte caractérisent non
seulement les relations entre les pays dits développés et les pays en voie de
développement, mais se retrouvent aussi à l’intérieur des nations
« riches » de l’hémisphère nord. La misère est une réalité qui s’étend
sur tout le continent européen.
1. Pour en venir à des conséquences pratiques
et qui présentent un caractère d’urgence particulière, le Concile insiste sur le respect de l’homme : que chacun
considère son prochain, sans aucune exception, comme « un autre lui-même»,
tienne compte avant tout de son existence et des moyens qui lui sont
nécessaires pour vivre dignement, et se garde d’imiter ce riche qui ne prit
nul souci du pauvre Lazare.
2. De nos jours surtout, nous avons l’impérieux
devoir de nous faire le prochain de
n’importe quel homme et, s’il se présente à nous, de le servir activement
: qu’il s’agisse de ce vieillard abandonné de tous, ou de ce travailleur
étranger, méprisé sans raison, ou de cet exilé, ou de cet enfant né d’une
union illégitime qui supporte injustement le poids d’une faute qu’il n’a pas
commise, ou de cet affamé qui interpelle notre conscience en nous rappelant
la parole du Seigneur : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus
petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).
3. De plus, tout ce qui s’oppose à la vie elle-même,
comme toute espèce d’homicide, le génocide, l’avortement, l’euthanasie et
même le suicide délibéré ; tout ce qui
constitue une violation de l’intégrité de la personne humaine, comme les
mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques ; tout ce qui est offense à la dignité de
l’homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements
arbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, le commerce des
femmes et des jeunes ; ou encore les
conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang
de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et
responsable : toutes ces pratiques et
d’autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu’elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux
qui s’y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement
à l’honneur du Créateur[39].
|
→ Encyclique de
Jean-Paul II, Evangelium vitae, sur
la valeur et l’inviolabilité de la vie (25/03/1995).
Respect
et amour des adversaires (28)[40]
« 1. Le respect et l’amour doivent aussi
s’étendre à ceux qui pensent ou agissent autrement que nous en matière sociale,
politique ou religieuse[41].
D’ailleurs, plus nous nous efforçons de
pénétrer de l’intérieur, avec bienveillance et amour, leurs manières de voir,
plus le dialogue avec eux deviendra aisé.
2. Certes, cet amour et cette bienveillance ne
doivent en aucune façon nous rendre indifférents à l’égard de la vérité et du
bien. Mieux, c’est l’amour même qui pousse les disciples du Christ à annoncer à
tous les hommes la vérité qui sauve. Mais on
doit distinguer entre l’erreur, toujours à rejeter, et celui qui se trompe, qui
garde toujours sa dignité de personne, même s’il se fourvoie dans des
notions fausses ou insuffisantes en matière religieuse. Dieu seul juge et
scrute les cœurs ; il nous interdit donc de juger de la culpabilité interne de
quiconque. »
Cette déclaration du Concile est essentielle pour
comprendre dans quel esprit l’Eglise catholique s’est ouverte aux relations
avec les Eglises et communautés chrétiennes non-catholiques (œcuménisme →
décret Unitatis redintegratio) et
avec les autres religions (dialogue interreligieux → déclaration Nostra aetate). Le respect et l’amour
dont il est ici question s’applique aussi aux athées : « L’Église,
tout en rejetant absolument l’athéisme, proclame toutefois, sans
arrière-pensée, que tous les hommes, croyants et incroyants, doivent
s’appliquer à la juste construction de ce monde, dans lequel ils vivent
ensemble : ce qui, assurément, n’est possible que par un dialogue loyal et
prudent » (21,6). De la même manière que la conscience qui s’égare, par
suite d’une ignorance invincible, ne perd pas sa dignité (16), l’homme qui se
trompe en matière religieuse « garde toujours sa dignité de
personne ».
Egalité
essentielle de tous les hommes entre eux et justice sociale (29)
Compendium
de la Doctrine sociale de l’Eglise 144-148
Reprenant l’anthropologie chrétienne du chapitre
premier, le Concile affirme l’égalité
fondamentale qui existe entre tous les hommes : « 1. Tous les
hommes, doués d’une âme raisonnable et créés à l’image de Dieu, ont même nature
et même origine ; tous, rachetés par le Christ, jouissent d’une même vocation
et d’une même destinée divine : on doit donc, et toujours davantage,
reconnaître leur égalité fondamentale. » Cela n’enlève rien au fait qu’il
existe une diversité de « capacité physique », de « forces
intellectuelles et morales » et même « de légitimes différences entre
les hommes ». L’égalité dont il est question ne se situe pas sur ce
terrain mais au niveau de la nature humaine qui est commune à tous. D’où
l’importance de reconnaître partout et toujours davantage les droits
fondamentaux de la personne qui sont une traduction concrète de l’égalité
existant entre tous les hommes : « toute forme de discrimination
touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou
culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la
condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée,
comme contraire au dessein de Dieu[42]. »
L’exigence de « conditions de vie
justes et plus humaines » découle naturellement de l’affirmation de
l’égale dignité des personnes : « En effet, les inégalités
économiques et sociales excessives entre les membres ou entre les peuples d’une
seule famille humaine font scandale et font obstacle à la justice sociale, à
l’équité, à la dignité de la personne humaine ainsi qu’à la paix sociale et
internationale. » Le Concile exhorte enfin les institutions privées ou
publiques à la promotion des droits de l’homme : « 4. Que les
institutions privées ou publiques s’efforcent de se mettre au service de la
dignité et de la destinée humaines. Qu’en même temps elles luttent activement
contre toute forme d’esclavage, social ou politique ; et qu’elles garantissent
les droits fondamentaux des hommes sous tout régime politique. »
Nécessité
de dépasser une éthique individualiste (30)
Le respect
des solidarités sociales fait partie intégrante du devoir de justice et de
charité. « Que tous prennent très à cœur de compter les solidarités
sociales parmi les principaux devoirs de l’homme d’aujourd’hui, et de les
respecter. En effet, plus le monde s’unifie et plus il est manifeste que les
obligations de l’homme dépassent les groupes particuliers pour s’étendre peu à
peu à l’univers entier. Ce qui ne peut se faire que si les individus et les
groupes cultivent en eux les valeurs morales et sociales et les répandent
autour d’eux ».
Responsabilité
et participation (31)
Compendium
de la Doctrine sociale de l’Eglise 189-191
Dans l’éducation des jeunes on ne visera pas
seulement l’acquisition d’une culture générale mais aussi le développement
d’une « forte personnalité ». Cela rappelle ce qui a été dit dans le
premier chapitre sur la nécessité de la sagesse venant parfaire l’intelligence
humaine (15). Le Concile développe sa réflexion sur la liberté humaine (17) en précisant ce qui l’affaiblit ou au
contraire la fortifie : « 2. Mais l’homme parvient très difficilement
à un tel sens de la responsabilité si les conditions de vie ne lui permettent
pas de prendre conscience de sa dignité et de répondre à sa vocation en se
dépensant au service de Dieu et de ses semblables[43].
Car souvent la liberté humaine s’étiole lorsque l’homme est dans un état
d’extrême indigence, comme elle se dégrade lorsque, se laissant aller à une vie
de trop grande facilité, il s’enferme en lui-même comme dans une tour d’ivoire.
Elle se fortifie en revanche lorsque l’homme accepte les inévitables
contraintes de la vie sociale, assume les exigences multiples de la solidarité
humaine et s’engage au service de la communauté des hommes. » Sans justice
sociale il est donc illusoire d’exiger de tous le sens de la responsabilité
sociale. Enfin la participation du plus grand nombre possible de citoyens aux
affaires publiques est à encourager[44].
Cette participation ne pourra se réaliser que dans la mesure où les citoyens se
sentent motivés par des valeurs allant au-delà de la simple organisation
de la vie sociale : « l’avenir est entre les mains de ceux qui auront
su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer. »
Le Verbe
incarné et la solidarité humaine (32)
Compendium
de la Doctrine sociale de l’Eglise 192-196
De même que Dieu ne nous a pas créés pour vivre
en solitaires mais pour vivre en société, de même Il a voulu nous apporter le
salut non pas de manière individuelle mais par et dans l’Eglise. Dans le
mystère de son incarnation le Fils de Dieu confirme le caractère communautaire
du projet créateur et sauveur de Dieu pour l’humanité : « Car le
Verbe incarné en personne a voulu entrer dans le jeu de cette solidarité. Il a
prit part aux noces de Cana, il s’est invité chez Zachée, il a mangé avec les
publicains et les pécheurs. C’est en évoquant les réalités les plus ordinaires
de la vie sociale, en se servant des mots et des images de l’existence la plus
quotidienne, qu’il a révélé aux hommes l’amour du Père et la magnificence de
leur vocation. Il a sanctifié les liens humains, notamment ceux de la famille,
source de la vie sociale. Il s’est volontairement soumis aux lois de sa patrie.
Il a voulu mener la vie même d’un artisan de son temps et de sa région[45]. »
L’Eglise, née du mystère pascal, est la famille de Dieu dans laquelle la
plénitude de la loi est l’amour, elle est le Corps du Christ devant témoigner
d’une « nouvelle communion fraternelle » fondée sur une même foi et
une même charité.
Chapitre III :
L’activité humaine dans l’univers (33-39)
Position
du problème (33)
En relevant l’émergence
d’une « communauté une au sein de l’univers » la constitution
pastorale annonce le phénomène de la mondialisation. En préambule à la question
de l’activité humaine dans l’univers sont signalés les immenses progrès de la
science et de la technique qui permettent à l’homme une maîtrise toujours plus
grande de la nature. Cette évolution a des conséquences sur la mentalité
religieuse de l’homme contemporain : « Il en résulte que l’homme se
procure désormais par sa propre industrie de nombreux biens qu’il attendait
autrefois avant tout de forces supérieures. » Cette constatation rejoint
celle qui a déjà été faite dans l’exposé préliminaire à propos de la
purification de la vie religieuse provoquée par l’essor de l’esprit
critique : « l’essor de l’esprit critique la purifie d’une conception
magique du monde et des survivances superstitieuses, et exige une adhésion de
plus en plus personnelle et active à la foi, nombreux sont ainsi ceux qui
parviennent à un sens plus vivant de Dieu » (7,3). L’évolution de
l’activité humaine contraint l’homme à se poser à nouveau la question du sens et de la finalité de ce qu’il fait.
« L’Église, gardienne du dépôt de la parole divine, où elle puise les
principes de l’ordre religieux et moral, n’a pas toujours, pour autant, une
réponse immédiate à chacune de ces questions ; elle désire toutefois joindre la lumière de la Révélation à
l’expérience de tous, pour éclairer le chemin où l’humanité vient de
s’engager. » Relevons au passage l’humilité des pères conciliaires qui
reconnaissent que l’Eglise n’a pas toujours « une réponse immédiate »
à donner aux questions nouvelles qui naissent de l’évolution du monde. Une fois
encore c’est en entrant en dialogue avec l’expérience humaine que l’Eglise
désire offrir à tous la lumière de la Révélation qui est son trésor propre.
Valeur
de l’activité humaine (34)
-
« l’activité
humaine, individuelle et collective, ce gigantesque effort par lequel les
hommes, tout au long des siècles, s’acharnent à améliorer leurs conditions de
vie, correspond au dessein de Dieu. » C’est la référence à Dieu créateur
et à la mission qu’il confie à l’homme, créé à son image, qui donne à
l’activité humaine toute sa valeur.
-
Il
ne faudrait toutefois pas limiter cette valeur uniquement aux progrès de la
science et de la technique. Le Concile rappelle la valeur des « activités
les plus quotidiennes », donc du travail et du devoir d’état :
« ces hommes et ces femmes qui, tout en gagnant leur vie et celle de leur
famille, mènent leurs activités de manière à bien servir la société, sont
fondés à voir dans leur travail un
prolongement de l’œuvre du Créateur, un service de leurs frères, un apport
personnel à la réalisation du plan providentiel dans l’histoire ».
-
Le
texte commence à répondre à l’objection de Marx contre la religion (cf. 20,2)
en affirmant qu’il n’y a pas de concurrence entre le génie de l’homme et la
puissance de Dieu créateur : non seulement « les victoires du genre
humain sont un signe de la grandeur divine et une conséquence de son dessein
ineffable » mais il faut aussi affirmer que « le message chrétien ne détourne pas les hommes de la construction du
monde et ne les incite pas à se désintéresser du sort de leurs semblables : il
leur en fait au contraire un devoir plus pressant[46] ».
L’Evangile n’est donc pas une force de démotivation ou de désengagement (un
opium pour le peuple) dans ce monde. L’Evangile remet l’homme devant la
grandeur de sa mission et par conséquent devant ses responsabilités :
« plus grandit le pouvoir de l’homme plus s’élargit le champ de ses
responsabilités, personnelles et communautaires. » Cela signifie qu’il
faut toujours lier l’activité humaine à une vision plus large, à une éthique.
Normes
de l’activité humaine (35)
Le Concile établit une hiérarchie des valeurs pour éviter
une mentalité purement économique ou technicienne[47].
L’activité humaine vient de l’homme et elle lui est ordonnée. L’essor personnel
et communautaire que l’homme peut atteindre par son activité est d’un
« tout autre prix que l’accumulation possible de richesses
extérieures », ce progrès « dépasse en valeur les progrès
techniques ». Le travail humain a donc une valeur supérieure à la seule
valeur économique : « Par son
action, l’homme ne transforme pas seulement les choses et la société, il se
parfait lui-même[48].
Il apprend bien des choses, il développe ses facultés, il sort de lui-même et
se dépasse. » Le texte cite Paul VI, lui-même inspiré par le
philosophe français Gabriel Marcel : « L’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a ». Il
ressort de cette hiérarchie des valeurs une règle pour l’activité
humaine : « qu’elle soit conforme au bien authentique de l’humanité,
selon le dessein et la volonté de Dieu, et qu’elle permette à l’homme,
considéré comme individu ou comme membre de la société, de s’épanouir selon la
plénitude de sa vocation. »
Juste
autonomie des réalités terrestres (36)[49]
La mentalité
contemporaine semble craindre une ingérence de la religion dans l’organisation
de l’activité humaine. A cela il faut répondre en définissant clairement ce
qu’est l’autonomie des réalités
terrestres : « Si, par autonomie des réalités terrestres, on veut
dire que les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs
valeurs propres, que l’homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser
et à organiser, une telle exigence d’autonomie est pleinement légitime : non
seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle
correspond à la volonté du Créateur. C’est en vertu de la création même que
toutes choses sont établies selon leur ordonnance et leurs lois et leurs
valeurs propres, que l’homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser
et à organiser. Une telle exigence
d’autonomie est pleinement légitime : non seulement elle est revendiquée par
les hommes de notre temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur.
C’est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur
consistance, leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et
leurs lois spécifiques. » Relevons à quel point la référence au projet
créateur de Dieu constitue un fondement essentiel de la doctrine sociale de
l’Eglise. Il ne peut y avoir aucune
opposition entre le véritable esprit scientifique et la foi religieuse car
« les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le
même Dieu » (référence à Vatican I). Il est intéressant de noter
l’honnêteté avec laquelle les pères conciliaires ont voulu traiter du rapport
délicat entre foi et science. De la même manière qu’ils n’avaient pas hésité à
mentionner la part de responsabilité des chrétiens dans l’athéisme contemporain
(19,3), de la même manière ils reconnaissent la responsabilité des chrétiens dans la mentalité qui tend à opposer la
science à la foi : « qu’on nous permette de déplorer certaines
attitudes qui ont existé parmi les chrétiens eux-mêmes, insuffisamment avertis
de la légitime autonomie de la science. Sources de tensions et de conflits,
elles ont conduit beaucoup d’esprits jusqu’à penser que science et foi s’opposaient ».
La note renvoie à l’affaire Galilée. Condamné en 1633 par l’Eglise, le savant
italien a été réhabilité par Jean-Paul II le 31 octobre 1992. Ce faisant le
pape appliquait de manière concrète la déclaration de Gaudium et Spes à ce sujet.
En opposition à une
juste conception de l’autonomie des réalités terrestres, le Concile signale la théorie qui sépare la création du
Créateur, théorie dangereuse : « si, par « autonomie du
temporel», on veut dire que les choses créées ne dépendent pas de Dieu et que
l’homme peut en disposer sans référence au Créateur, la fausseté de tels propos
ne peut échapper à quiconque reconnaît Dieu. En effet, la créature sans Créateur s’évanouit. Du reste, tous les croyants,
à quelque religion qu’ils appartiennent, ont toujours entendu la voix de Dieu
et sa manifestation, dans le langage des créatures. Et même, l’oubli de Dieu rend opaque la créature
elle-même. » Nous avons vu plus haut que le fondement le plus
inébranlable de la dignité humaine et de la vocation humaine était la
révélation biblique de l’homme créé à l’image de Dieu. Refuser la transcendance
au nom d’une fausse conception de l’autonomie des réalités terrestres revient
donc à promouvoir un humanisme qui se retourne à un moment ou à un autre contre
l’homme lui-même.
L’activité
humaine détériorée par le péché (37)
Les pères conciliaires
n’étaient pas de naïfs optimistes. S’appuyant sur la révélation divine, ils
avaient déjà mentionné la réalité du péché qui a pour conséquence la division
intérieure de l’homme (13). Ici ils envisagent les conséquences du péché sur
l’activité humaine. Le progrès, « grand bien pour l’homme », peut se
retourner contre lui s’il ne respecte pas « la hiérarchie des
valeurs » mentionnée au n°35. L’égoïsme et l’individualisme peuvent alors
l’emporter et aller jusqu’à menacer « de détruire le genre humain
lui-même ». Est-ce une allusion à l’arme atomique ? Les n°80 et 81 de
la constitution traitent en détail du « progrès de l’armement
scientifique » et de ses « effets funestes ». L’histoire humaine
se présente depuis toujours comme « un dur combat contre les puissances
des ténèbres ». Le défi pour l’homme consiste à retrouver et à
« réaliser son unité intérieure ». Il ne peut atteindre ce but
qu’ « au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu ».
L’Eglise offre à l’homme une voie de salut dans le Christ pour que le progrès
des sciences et de l’activité humaine permette à l’homme et à la société de se
parfaire, atteignant ainsi la fin fixée par Dieu créateur : « les
chrétiens confessent que toutes les activités humaines, quotidiennement déviées
par l’orgueil de l’homme et l’amour désordonné de soi, ont besoin d’être
purifiées et amenées à leur perfection par la croix et la résurrection du
Christ. Racheté par le Christ et devenu une nouvelle créature dans l’Esprit
Saint, l’homme peut et doit, en effet,
aimer ces choses que Dieu lui-même a créées. Car c’est de Dieu qu’il les
reçoit : il les voit comme jaillissant de sa main et les respecte. Pour elles, il remercie son divin
bienfaiteur, il en use et il en jouit dans un esprit de pauvreté[50] et
de liberté ; il est alors introduit dans la possession véritable du monde,
comme quelqu’un qui n’a rien et qui possède tout. « Car tout est à vous, mais
vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22-23). »
Ces propos du Concile sont prophétiques au regard de la société de consommation
actuelle qui trompe l’homme en lui faisant croire que le bonheur consiste à
accumuler un maximum de biens matériels (Le nouveau cogito cartésien pourrait être ainsi formulé : « J’achète
donc je suis »). Oui, « l’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce
qu’il a » (35,1).
L’activité
humaine et son achèvement dans le mystère pascal (38)
1. Le Verbe de Dieu,
par qui tout a été fait, s’est lui-même fait chair et est venu habiter la
terre des hommes. Homme parfait, il est entré dans l’histoire du monde,
l’assumant et la récapitulant en lui. C’est lui qui nous révèle que « Dieu
est charité » (cf. 1 Jn 4, 8) et qui nous enseigne en même temps que la loi fondamentale de la perfection
humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau
de l’amour. À ceux qui croient à la divine charité, il apporte ainsi la
certitude que la voie de l’amour est ouverte à tous les hommes et que
l’effort qui tend à instaurer une fraternité universelle n’est pas vain. Il
nous avertit aussi que cette charité
ne doit pas seulement s’exercer dans des actions d’éclat, mais, et avant
tout, dans le quotidien de la vie. En acceptant de mourir pour nous tous,
pécheurs, il nous apprend, par son exemple, que nous devons aussi porter cette croix que la chair et le monde font
peser sur les épaules de ceux qui poursuivent la justice et la paix.
Constitué Seigneur par sa résurrection, le Christ à qui tout pouvoir a été
donné, au ciel et sur la terre agit désormais dans le cœur des hommes par la
puissance de son Esprit ; il n’y suscite pas seulement le désir du siècle à
venir, mais par là même anime aussi,
purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui poussent la famille
humaine à améliorer ses conditions de vie et à soumettre à cette fin la terre
entière. Assurément les dons de l’Esprit sont divers : tandis qu’il
appelle certains à témoigner ouvertement du désir de la demeure céleste et à
garder vivant ce témoignage dans la famille humaine, il appelle les autres à
se vouer au service terrestre des hommes, préparant
par ce ministère la matière du Royaume des cieux. Mais de tous il fait des hommes libres pour
que, renonçant à l’amour-propre et rassemblant toutes les énergies terrestres
pour la vie humaine, ils s’élancent vers l’avenir, vers ce temps où
l’humanité elle-même deviendra une offrande agréable à Dieu.
2. Le Seigneur a
laissé aux siens les arrhes de cette espérance et un aliment pour la route :
le sacrement de la foi, dans lequel des
éléments de la nature, cultivés par l’homme, sont changés en son Corps et
en son Sang glorieux. C’est le repas de la communion fraternelle, une
anticipation du banquet céleste.
|
J’ai tenu à reproduire
intégralement le n°38 de Gaudium et Spes
car ce texte est non seulement traversé par une magnifique inspiration
spirituelle mais il nous donne aussi des éléments essentiels pour comprendre
comment le Concile situe le rapport de l’Eglise avec le monde. L’amour de
charité (cf. Dieu est amour de Benoît
XVI, 25/12/2005) est « la loi fondamentale de la perfection humaine, et
donc de la transformation du monde ». Entre l’engagement humain pour la
justice sociale et des conditions de vie dignes d’une part et la réalité du
royaume des cieux il existe certes une distinction mais pas une séparation et
encore moins une opposition. Relevons dans ce texte une affirmation très
forte : les hommes qui travaillent « au service terrestre » de
leurs frères en humanité exercent un « ministère ». Le diaconat
permanent, restauré par le Concile, est le signe dans l’Eglise de l’importance
capitale du service terrestre des hommes. Ce ministère de la charité ou encore
de la solidarité (32,5), pour reprendre un terme davantage utilisé de nos
jours, prépare « la matière du royaume des cieux ». Si la liturgie
constitue un avant-goût du royaume des cieux (Sacrosanctum Concilium 8), n’oublions pas que dès la plus haute
antiquité chrétienne la célébration de l’eucharistie a été liée au service des
pauvres, des veuves, des orphelins, des voyageurs et des étrangers de passage.
C’était l’une des significations originelles de la quête. Une Eglise dans
laquelle il n’y aurait plus que des célébrations liturgiques ne serait plus
l’Eglise du Christ. Les Pères de l’Eglise ont très souvent enseigné que l’on ne
pouvait pas prétendre honorer le Christ dans la liturgie si par ailleurs on le
méprisait dans les pauvres. Un extrait d’un sermon de saint Jean Chrysostome
sur l’Evangile de Matthieu illustre parfaitement cette vérité :
« Pense qu’il
s’agit aussi du Christ, lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et
toi, qui a omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les
chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais
lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas
cela pour t’empêcher de faire de telles générosités, mais je t’exhorte à les
accompagner ou plutôt à les faire précéder par les autres actes de
bienfaisance. Car personne n’a jamais été accusé pour avoir omis les premières,
tandis que, pour avoir négligé les autres, on est menacé de la géhenne, du feu
qui ne s’éteint pas, du supplice partagé avec les démons. Par conséquent,
lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là
a plus de valeur que l’autre[51] ».
En affirmant que le
« service terrestre des hommes » prépare « la matière du royaume
des cieux », le Concile utilise un vocabulaire qui peut faire penser aux
sacrements. La « matière » d’un sacrement, c’est son aspect concret,
visible, par exemple l’eau pour le baptême ou le pain et le vin pour
l’eucharistie. Le paragraphe 2 du n°38 nous parle d’ailleurs du mystère de la
transsubstantiation par lequel « des éléments de la nature, cultivés par
l’homme, sont changés » et deviennent le Corps et le Sang du Seigneur.
Analogiquement le Concile affirme que toute l’activité humaine animée par la
charité venant de Dieu sera transformée dans le royaume des cieux. Cette
activité humaine, même si elle jouit de la juste autonomie qui est celle des
réalités terrestres (n°36), n’est donc pas étrangère à la vie chrétienne.
Terre
nouvelle et cieux nouveaux (39)
L’Eglise ne connaît pas
le moment du retour du Christ dans la gloire ni le « mode de
transformation du cosmos » à la fin des temps. En lien avec le numéro
précédent les pères conciliaires affirment que dans ce monde nouveau, ce monde
du royaume de Dieu, « la charité et
ses œuvres demeureront ». Une fois encore la constitution pastorale
répond à l’objection marxiste qui voit dans la religion l’opium du peuple
(20,2) : « Certes, nous savons bien qu’il ne sert à rien à l’homme de
gagner l’univers s’il vient à se perdre lui-même, mais l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de
cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle
famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir.
C’est pourquoi, s’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la
croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance
pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure
organisation de la société humaine ». Le n°38 parlait de « matière du
royaume des cieux », nous avons ici une expression similaire pour désigner
la valeur de notre vie terrestre et de ses activités : « le corps de
la nouvelle famille humaine ». Le chrétien est donc invité avec tous les
hommes de bonne volonté à participer activement à la construction de ce monde.
L’activité humaine exercée selon la volonté de Dieu est en même temps « un
prolongement de l’œuvre du Créateur » (34,2) et « la matière du
royaume des cieux » (38,1). C’est donc une vision grandiose du travail
humain[52]
et de la vocation de l’homme que le Concile met devant nos yeux. Notre travail,
aussi humble soit-il, est une participation à l’œuvre de la création et à celle
du salut. « Ces valeurs de dignité, de communion fraternelle et de
liberté, tous ces fruits de notre nature et de notre industrie, que nous aurons
propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous
les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés,
transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père « un Royaume éternel et
universel : Royaume de vérité et de vie, Royaume de sainteté et de grâce,
Royaume de justice, d’amour et de paix». Mystérieusement, le Royaume est déjà
présent sur cette terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur
reviendra ».
Chapitre IV :
Le rôle de l’Eglise dans le monde de ce temps (40-45)
Après avoir posé les
fondements de la doctrine sociale de l’Eglise et en supposant acquis
l’enseignement de la constitution Lumen
Gentium, les pères du Concile envisagent plus directement le rapport de
l’Eglise avec le monde dans lequel elle est insérée.
Rapports
mutuels de l’Eglise et du monde (40)
« Née de l’amour
du Père éternel fondée dans le temps par le Christ rédempteur, rassemblée dans
l’Esprit Saint, l’Église poursuit une fin
salvifique et eschatologique qui ne peut être pleinement atteinte que dans
le siècle à venir ». Faisant sienne l’expérience de Jésus ressuscité avec
les disciples d’Emmaüs (Luc 24, 13-35), « l’Église fait ainsi route avec
toute l’humanité et partage le sort terrestre du monde ; elle est comme le ferment et, pour ainsi dire, l’âme de la société humaine appelée à
être renouvelée dans le Christ et transformée en famille de Dieu. » Ce que
l’Epître à Diognète dit des
chrétiens, le Concile l’affirme de l’Eglise tout entière : « ce que
l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde ». La mission
qu’a l’Eglise de proposer et de donner le salut du Christ à tous les hommes ne
l’éloigne pas pour autant du « service terrestre des hommes »
(38,1) : « L’Église, en poursuivant la fin salvifique qui lui est
propre, ne communique pas seulement à l’homme la vie divine ; elle répand
aussi, et d’une certaine façon sur le monde entier, la lumière que cette vie
divine irradie, notamment en guérissant et en élevant la dignité de la personne
humaine, en affermissant la cohésion de la société et en procurant à l’activité
quotidienne des hommes un sens plus profond, la pénétrant d’une signification
plus haute. Ainsi, par chacun de ses
membres comme par toute la communauté qu’elle forme, l’Église croit pouvoir
largement contribuer à humaniser toujours plus la famille des hommes et son
histoire. » Le Concile affirme aussi le désir de l’Eglise catholique
de reconnaître la contribution des autres Eglises chrétiennes et de la société
civile en général dans cette tache d’humanisation de la famille humaine. Le
monde peut lui apporter « une aide précieuse » et c’est sous l’angle
d’échanges et d’aide mutuelle que le Concile considère le rapport entre
l’Eglise et le monde « dans les domaines qui leur sont en quelque sorte
communs ». Dans les trois numéros qui suivent le Concile précise quel type
d’aide et de lumière l’Eglise peut apporter au monde contemporain.
Aide
que l’Eglise veut offrir à tout homme (41)
Le
n°41 est à mettre en relation avec le chapitre premier (La dignité de la
personne humaine).
La lumière de la
révélation divine permet à l’Eglise de répondre aux questions essentielles que
tout homme se pose sur « la signification de sa vie, de ses activités et
de sa mort » : « L’Église, pour sa part, qui a reçu la mission
de manifester le mystère de Dieu, de ce Dieu qui est la fin ultime de l’homme,
révèle en même temps à l’homme le sens
de sa propre existence, c’est-à-dire sa vérité essentielle. L’Église sait
parfaitement que Dieu seul, dont elle est la servante, répond aux plus profonds
désirs du cœur humain que jamais ne rassasient pleinement les nourritures
terrestres. » En écho à l’affirmation du n°22 selon laquelle « le
mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe
incarné », le Concile affirme que « quiconque suit le Christ, homme parfait, devient lui-même plus homme ».
Contrairement à ce qu’affirmait Nietzsche[53]
la foi chrétienne ne déshumanise pas l’homme, elle l’accomplit dans toutes les
dimensions de son être et lui permet de retrouver son unité intérieure. Un
exemple en est donné par rapport à la
relation de l’homme à son propre corps : l’Eglise évite à l’homme de
tomber dans deux tentations opposées qui sont le mépris ou le culte du corps
(cf. aussi 14,1). L’Evangile du Christ tel que l’Eglise le transmet constitue
la protection la plus assurée de « la dignité personnelle et de la liberté
de l’homme » : « Cet Évangile annonce et proclame la liberté des
enfants de Dieu, rejette tout esclavage qui en fin de compte provient du péché,
respecte scrupuleusement la dignité de la conscience et son libre choix,
enseigne sans relâche à faire fructifier tous les talents humains au service de
Dieu et pour le bien des hommes, enfin confie chacun à l’amour de tous. Tout
cela correspond à la loi fondamentale de l’économie chrétienne. Car, si le même
Dieu est à la fois Créateur et Sauveur, Seigneur et de l’histoire humaine et de
l’histoire du salut, cet ordre divin lui-même, loin de supprimer la juste
autonomie de la créature, et en particulier de l’homme, la rétablit et la
confirme au contraire dans sa dignité.[54] »
Il s’en suit que l’Eglise se réjouit du progrès des droits de l’homme dans la
mesure où on ne les oppose pas, au nom d’une fausse autonomie (36,3), au projet
de Dieu créateur : « Nous sommes exposés à la tentation d’estimer que
nos droits personnels ne sont pleinement maintenus que lorsque nous sommes
dégagés de toute norme de la loi divine. Mais, en suivant cette voie, la dignité humaine, loin d’être sauvée,
s’évanouit. » (cf. aussi 36,3).
Aide
que l’Eglise cherche à apporter à la société humaine (42)
Le
n°42 est à mettre en relation avec le chapitre II (La communauté humaine).
Reprenant ce qui a déjà
été affirmé au n°40 (par.3), les pères conciliaires réaffirment le lien
indissoluble entre la mission religieuse de l’Eglise et sa doctrine
sociale : « Certes, la mission propre que le Christ a confiée à son
Église n’est ni d’ordre politique, ni d’ordre économique ou social : le but
qu’il lui a assigné est d’ordre religieux. Mais, précisément, de cette mission
religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent
servir à constituer et à affermir la communauté des hommes selon la loi
divine. » L’Eglise reconnaît « tout ce qui est bon » dans la
socialisation, la solidarité et dans les commencements de la mondialisation
telle que nous la connaissons de nos jours : notre terre, de par la
rapidité et la quantité des échanges et des informations, les migrations et la
facilité des déplacements, est devenue un village global. Le trésor propre de
l’Eglise est celui de sa foi et de sa charité[55].
L’Eglise est convaincue que c’est uniquement à ce niveau surnaturel qu’une
véritable union sociale visible est possible. La force de l’Eglise provient de son témoignage et non pas de son
pouvoir temporel : « Car l’énergie que l’Église est capable
d’insuffler à la société moderne se trouve dans cette foi et dans cette charité
effectivement vécues et ne s’appuie pas sur une souveraineté extérieure qui
s’exercerait par des moyens purement humains. » Les pères conciliaires
renoncent donc au système de la chrétienté pour concevoir les relations de
l’Eglise avec la société civile[56].
A ce titre Vatican II opère une véritable refondation du christianisme[57]
car, de Théodose 1er (380) à la révolution française (1789), le
pouvoir spirituel de l’Eglise s’est toujours appuyé sur les moyens purement
humains du pouvoir temporel (christianisme religion d’Etat, concordats etc.). Dix
avant Gaudium et Spes Maurice Zundel
avait analysé d’une manière brillante le dévoiement historique du christianisme
dans la chrétienté et les conséquences tragiques de ce dévoiement pour la
crédibilité de l’Eglise. Le vocabulaire employé annonce le ton avec lequel les
pères conciliaires parleront du rapport entre l’Eglise et le monde
contemporain :
Réflexions de Maurice Zundel sur la chrétienté
« S’il y eut jamais une
Europe chrétienne, aussi bien, c’est dans la mesure où l’Eglise s’imposait
aux empereurs et aux rois, comme un autre pouvoir qui confirmait ou limitait
le leur, mais avec lequel, de toute manière, il fallait compter en raison de
son emprise sur leurs sujets. C’est précisément l’affaiblissement de ce
pouvoir qui a disjoint la chrétienté, en donnant à une bonne partie de notre
continent cette figure laïque qui confine Dieu dans la vie privée. Mais cela
signifie justement que les âmes lui échappaient. Nouveau problème : le
plus grave de tous. Le seul fait de pouvoir représenter, sur une carte, la
distribution géographique du phénomène religieux implique un lien entre la
biologie et la religion. Un fleuve, une mer, une frontière : et tout est
changé. L’option du groupe ou la volonté du prince a donc précédé le choix de
l’individu. Il semble, d’ailleurs, que celui-ci, confondu avec son clan, ait
longtemps joui d’une existence collective plus que d’une vie propre. On fait
remonter à Ezéchiel, dans la Bible, aussi tard que le début du 6e
siècle avant J.C., l’affirmation précise d’une rétribution individuelle qui
exonère l’innocent de la culpabilité du groupe : dont nos guerres
admettent encore l’universelle extension. La religion, comme la morale,
concerne primitivement la tribu et n’atteint guère l’individu qu’en raison de
son appartenance à celle-ci. D’où l’importance capitale, dans le vieux
Testament du shear Israël, du
« reste » fidèle qui tend à concentrer en soi, à partir d’Isaïe,
toute la mission du peuple élu – qu’il constitue réellement- en requérant une
adhésion personnelle au Dieu des Pères, qui déboute de toute prétention leur
postérité purement charnelle. D’où l’intérêt exceptionnel de la satire
postexilienne, qui souligne avec tant d’humour, à travers l’aventure de
Jonas, le caractère universel de cette mission, dont, un peu plus tôt, les
chants du serviteur de Yahvé avaient déjà touché l’aspect le plus profond, en
amorçant une intériorisation décisive de la fonction messianique. Ces
courants, cependant, ne l’emporteront pas sur les limites du concept
biologique de race et de nation. Jésus sera condamné, précisément, selon la
volonté du grand-prêtre, pour que la Nation ne périsse pas en perdant le
monopole de son Dieu. Le « grain de blé » fut ainsi jeté en terre
et y mourut pour devenir le ferment de notre liberté : non sans passer
pourtant par une seconde mort.
La suprême tragédie, en effet,
fut l’érection, sous le nom du Christ, dans la théocratie byzantine comme
dans la théocratie médiévale, d’un appareil d’Etat auquel les clercs
prêtèrent largement leur appui pour, selon les cas, implanter, défendre ou
venger la Cité de Dieu. Le christianisme prit ainsi cette figure de pouvoir qui impose sa présence avec les mêmes
armes que tout autre pouvoir, et dont une trop longue habitude lui fait
garder, parfois jusqu’aujourd’hui, les méthodes et les apparences. Il était
facile de prévoir, assurément, que la chute des régimes, dont la puissance
coercitive jouait en sa faveur, l’entrainerait dans leur discrédit. Mais le pire
est qu’il est apparu, en raison de cette séculaire collusion, comme
l’expression la plus irréductible des absolutismes dont une humanité décidée
à conquérir sa majorité entendait secouer le joug. Il ne faut pas chercher
ailleurs les racines de l’hostilité profonde, ou de l’indifférence totale,
qui a détourné de l’Evangile tant d’être particulièrement capables de le
comprendre et de l’aimer. […]
L’Eglise, aussi bien, n’est pas
un ghetto où un peuple élu s’enferme dans sa bigoterie. Elle est sans
frontière comme le Christ lui-même. Comment ne voudrait-elle pas parler à
ceux qui se croient dehors, et qui la confondent encore avec un pouvoir
tyrannique, le langage de leur majorité humaine, dont la revendication est le
cri de leur dignité blessée vers l’Amour qui en est l’éternelle et inviolable
caution. Mais, comme il n’est de parole efficace que celle que l’on devient,
ce langage ne sera entendu que si les chrétiens, clercs ou laïcs, engagent
résolument toute leur vie dans un témoignage créateur de justice et de
respect qui révèle Dieu comme le fondement, en chacun, de la dimension
infinie que l’humanité moderne, éveillée par sa révolte au sens de sa
grandeur, et, par la science au sens de sa puissance, entend donner à son
effort et à son avenir. Il n’est d’autre méthode concevable, aussi bien, pour
obtenir son attention, que de combler son attente. Car on ne trouve avec
bonheur que ce que l’on cherche avec passion, comme Pascal l’a si
profondément compris dans le dialogue où son cœur s’est brûlé : ‘Tu ne
me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé’ ![58] »
|
Forte de sa liberté et de son autonomie par
rapport au pouvoir temporel[59],
l’Eglise se présente au monde comme vraiment catholique, c’est-à-dire
universelle et comme un ferment d’unité pour tout le genre humain :
« Comme de plus, de par sa mission et sa nature, l’Église n’est liée à
aucune forme particulière de culture[60],
ni à aucun système politique, économique ou social, par cette universalité
même, l’Église peut être un lien très étroit entre les différentes communautés
humaines et entre les différentes nations, pourvu qu’elles lui fassent
confiance et lui reconnaissent en fait une authentique liberté pour
l’accomplissement de sa mission. » Le Concile cherche à mettre en avant ce qui est positif dans le dynamisme social
du monde contemporain : « Tout ce qu’il y a de vrai, de bon, de
juste, dans les institutions très variées que s’est données et que continue à
se donner le genre humain, le Concile le considère donc avec un grand
respect. » Comme l’avait souhaité Jean XXIII dans son discours d’ouverture
le regard bienveillant l’emporte sur la condamnation des erreurs.
→ Déclaration sur les
relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, Nostra Aetate 2 : « L’Eglise catholique ne rejette rien
de ce qui est vrai et saint dans ces religions ».
Aide
que l’Eglise, par les chrétiens, cherche à apporter à l’activité humaine (43)
Le
n°43 est à mettre en relation avec le chapitre III (L’activité humaine dans
l’univers).
Ce numéro de la
constitution donne des indications en vue de l’action aux chrétiens en général,
puis aux laïcs et enfin aux évêques. Il faut refuser avec la plus grande force le divorce entre la foi et le
comportement quotidien, « entre les activités professionnelles et
sociales d’une part, et la vie religieuse d’autre part » : « Le
Concile exhorte les chrétiens, citoyens de l’une et de l’autre cité, à remplir
avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire par
l’esprit de l’Évangile. Ils s’éloignent de la vérité ceux qui, sachant que nous
n’avons point ici-bas de cité permanente, mais que nous marchons vers la cité
future croient pouvoir, pour cela, négliger leurs tâches humaines, sans
s’apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation de chacun, leur en
fait un devoir plus pressant. Mais ils ne se trompent pas moins ceux qui, à
l’inverse, croient pouvoir se livrer entièrement à des activités terrestres en
agissant comme si elles étaient tout à fait étrangères à leur vie religieuse –
celle-ci se limitant alors pour eux à l’exercice du culte et à quelques
obligations morales déterminées. » « Aux laïcs reviennent en propre,
quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières. »
Vatican II a consacré un décret, Apostolicam
actuositatem, à l’apostolat des laïcs sans oublier le chapitre IV de Lumen Gentium. Gaudium et Spes se contente donc de rappeler quelques grandes
lignes de conduite. Les laïcs ne doivent pas attendre des prêtres plus qu’ils
ne peuvent donner : « C’est à leur conscience, préalablement formée,
qu’il revient d’inscrire la loi divine dans la cité terrestre. Qu’ils attendent
des prêtres lumières et forces spirituelles. Qu’ils ne pensent pas pour autant
que leurs pasteurs aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir une
solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à
eux, ou que telle soit leur mission. Mais plutôt, éclairés par la sagesse
chrétienne, prêtant fidèlement attention à l’enseignement du Magistère, qu’ils prennent eux-mêmes leurs
responsabilités. » De même que l’Eglise n’a pas toujours « une
réponse immédiate » à toutes les questions (33,2), de même les prêtres ne
peuvent pas remplacer les laïcs dans la recherche des solutions aux problèmes
que leur insertion dans la vie de ce monde peut leur poser. En appelant les
laïcs à se former, à se référer à leur conscience et à prendre leurs propres
responsabilités, le Concile tourne la page du cléricalisme[61].
Il est aussi intéressant de relever qu’un sain pluralisme d’options est reconnu
aux laïcs par la Constitution. L’unité du peuple de Dieu n’est pas comparable à
l’uniformité d’une armée : « Fréquemment, c’est leur vision
chrétienne des choses qui les inclinera à telle ou telle solution, selon les
circonstances. Mais d’autres fidèles, avec une égale sincérité, pourront en
juger autrement, comme il advient souvent et à bon droit. S’il arrive que
beaucoup lient facilement, même contre la volonté des intéressés, les options
des uns ou des autres avec le message évangélique, on se souviendra en pareil
cas que personne n’a le droit de revendiquer d’une manière exclusive pour son
opinion l’autorité de l’Église. Que toujours, dans un dialogue sincère, ils
cherchent à s’éclairer mutuellement, qu’ils gardent entre eux la charité et
qu’ils aient avant tout le souci du bien commun. »
Le paragraphe 6 est
d’une importance capitale car tout en maintenant l’affirmation de la sainteté
de l’Eglise il reconnaît le contre-témoignage de certains de ses membres :
« Bien que
l’Église, par la vertu de l’Esprit Saint, soit restée l’épouse fidèle de son
Seigneur et n’ait jamais cessé d’être dans le monde le signe du salut, elle
sait fort bien toutefois que, au cours de sa longue histoire, parmi ses
membres, clercs et laïcs, il n’en manque pas qui se sont montrés infidèles à
l’Esprit de Dieu. De nos jours aussi, l’Église n’ignore pas quelle distance
sépare le message qu’elle révèle et la faiblesse humaine de ceux auxquels cet
Évangile est confié. Quel que soit le
jugement de l’histoire sur ces défaillances, nous devons en être conscients et
les combattre avec vigueur afin qu’elles ne nuisent pas à la diffusion de
l’Évangile. Pour développer ses rapports avec le monde, l’Église sait
également combien elle doit continuellement apprendre de l’expérience des
siècles. Guidée par l’Esprit Saint, l’Église, notre Mère, ne cesse d’exhorter ses fils à se purifier et à se
renouveler, « pour que le signe du Christ brille avec plus d’éclat sur le
visage de l’Église». Cette reconnaissance de l’infidélité de certains chrétiens
à l’Esprit de Dieu se retrouve dans le décret sur la liberté religieuse :
« Bien qu’il y ait eu parfois dans la vie du peuple de Dieu, cheminant à
travers les vicissitudes de l’histoire humaine, des manières d’agir moins
conformes, bien plus même contraires à l’esprit évangélique, l’Église a
cependant toujours enseigné que personne ne peut être amené par contrainte à la
foi » (Dignitatis humanae 12).
Ces textes du Concile ont préparé la
démarche courageuse de repentance du bienheureux pape Jean-Paul II à
l’occasion du Jubilé de l’an 2000 : « Pardonnons et
demandons pardon! Tandis que nous rendons grâces à Dieu qui, dans son amour
miséricordieux, a suscité dans l'Eglise une récolte merveilleuse de sainteté,
d'ardeur missionnaire, de dévouement total au Christ et au prochain, nous ne
pouvons manquer de reconnaître les infidélités à l'Evangile qu'ont commises
certains de nos frères, en particulier au cours du second millénaire. Demandons
pardon pour les divisions qui sont intervenues parmi les chrétiens, pour la
violence à laquelle certains d'entre d'eux ont eu recours dans le service à la
vérité, et pour les attitudes de méfiance et d'hostilité adoptées parfois à
l'égard des fidèles des autres religions[62] » (extrait de l’homélie du dimanche 12 mars
2000). L’Eglise en tant qu’institution à la fois divine et humaine se
grandit lorsqu’elle reconnaît humblement la vérité de toute son histoire passée
et présente avec ses zones de lumières et d’ombres. C’est le Concile qui a
rendu possible cet examen de conscience salutaire et qui a permis à l’Eglise de
passer de la position d’Eglise triomphante à celle, plus évangélique, d’Eglise
servante de la Parole de Dieu et de la dignité de tous les hommes sans aucune
exception.
Aide
que l’Eglise reçoit du monde d’aujourd’hui (44)
Le n°40 avait annoncé
une « aide mutuelle » entre l’Eglise et le monde. Nous venons de
voir comment l’Eglise avec la lumière de la révélation peut aider l’humanité à
réaliser sa vocation. Parler d’aide mutuelle pour caractériser la relation que
l’Eglise entend avoir avec le monde implique que cette dernière ne se situe
plus dans une position dominante par rapport à la société civile mais dans un
dialogue. Le n°11 de la constitution avait déjà mentionné « la réciprocité
des services que sont appelés à se rendre le peuple de Dieu et le genre
humain ». C’est donc la collaboration qui succède à la volonté de domination
sur l’ensemble de la société civile. L’Eglise ne se considère plus seulement
comme celle qui doit propager la lumière de la vérité mais aussi comme celle
qui, se mettant à l’écoute du monde et de ses aspirations, peut en recevoir une
aide précieuse dans l’accomplissement de sa mission. C’est ainsi que s’est
réalisé le vœu du bienheureux pape Jean XXIII : « Je veux ouvrir la
fenêtre de l'Eglise, afin que nous puissions voir ce qui se passe dehors, et
que le monde puisse voir ce qui se passe chez nous[63] ».
La constitution pastorale Gaudium et Spes
marque la fin d’une mentalité qui a prédominé chez les papes et dans la
hiérarchie ecclésiastique depuis le traumatisme de la révolution française,
celle d’une Eglise forteresse assiégée par les erreurs du monde. Après le
traumatisme de la fin des monarchies absolues de « droit divin », la
perte du pouvoir temporel des papes a eu pour conséquence qu’ils se sont
enfermés au Vatican (1870-1929) en signe de protestation jusqu’aux Accords du Latran par lesquels fut créé
le petit Etat du Vatican. Cette attitude symbolisait bien la crainte et le
refus du monde nouveau, celui de l’émergence des nations et des démocraties[64].
Comme exemple d’aide mutuelle entre l’Eglise et le monde le texte signale la
question de l’inculturation de l’Evangile dans les diverses cultures (par.2).
« Comme elle
possède une structure sociale visible, signe de son unité dans le Christ,
l’Église peut aussi être enrichie, et elle l’est effectivement, par le
déroulement de la vie sociale : non pas comme s’il manquait quelque chose dans
la constitution que le Christ lui a donnée, mais pour l’approfondir, la mieux
exprimer et l’accommoder d’une manière plus heureuse à notre époque. L’Église
constate avec reconnaissance qu’elle reçoit une aide variée de la part d’hommes
de tout rang et de toute condition, aide qui profite aussi bien à la communauté
qu’elle forme qu’à chacun de ses fils. En effet, tous ceux qui contribuent au
développement de la communauté humaine au plan familial, culturel, économique
et social, politique (tant au niveau national qu’au niveau international),
apportent par le fait même, et en conformité avec le plan de Dieu, une aide non
négligeable à la communauté ecclésiale, pour autant que celle-ci dépend du
monde extérieur. Bien plus, l’Église reconnaît que, de l’opposition même de ses
adversaires et de ses persécuteurs, elle a tiré de grands avantages et qu’elle
peut continuer à le faire ».
Le
Christ alpha et oméga (45)
« Le Seigneur est
le terme de l’histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de
l’histoire et de la civilisation, le centre du genre humain, la joie de tous
les cœurs et la plénitude de leurs aspirations ».
Deuxième
partie : De quelques problèmes plus urgents (46-90)
Comme je l’ai déjà dit
dans l’introduction je ne commenterai pas la deuxième partie de Gaudium et Spes qui a sans cesse été
actualisée dans les textes du magistère postérieur (Catéchisme de l’Eglise catholique, Compendium de la doctrine sociale de
l’Eglise et tout l’enseignement du bienheureux pape Jean-Paul II). Le lecteur
trouvera à la fin de ce chapitre un tableau synoptique donnant les références
précises dans le Compendium de la
doctrine sociale de l’Eglise. Je me contenterai d’indiquer les encycliques
et les exhortations apostoliques de Jean-Paul II qui reprennent et
approfondissent les thèmes abordés dans cette deuxième partie.
Chapitre premier :
Dignité du mariage et de la famille (47-52)
→ Humanae Vitae
de Paul VI sur la régulation des naissances (25 juillet 1968)
→ Familiaris consortio (1981)
Chapitre II :
L’essor de la culture (53-62)
→ Centesimus annus (1991)
→ Fides et ratio sur les rapports entre foi et raison (1998)
Chapitre III :
La vie économico-sociale (63-72)
→ Populorum Progressio de Paul
VI (26 mars 1967)
→ Laborem exercens (1981)
→ Sollicitudo rei socialis (1987)
→ Centesimus annus (1991)
Chapitre IV :
La vie de la communauté politique (73-76)
Chapitre V :
La sauvegarde de la paix et la construction de la communauté des nations
(77-90)
→ Populorum Progressio
de Paul VI (26 mars 1967)
Conclusion
(91-93)
Etant donnée l’importance de la notion de dialogue
comme caractéristique de la relation entre l’Eglise et le monde contemporain,
il m’a semblé nécessaire de citer intégralement le n°92 de Gaudium et Spes. Les pères conciliaires ont ainsi repris en
l’amplifiant l’exhortation du pape Paul VI dans son encyclique Ecclesiam suam (6/08/1964) dont la
troisième partie traite du dialogue.
1. En vertu de la
mission qui est la sienne, d’éclairer
l’univers entier par le message évangélique et de réunir en un seul Esprit tous les hommes, à quelque nation, race,
ou culture qu’ils appartiennent, l’Église apparaît comme le signe de cette
fraternité qui rend possible un dialogue loyal et le renforce.
2. Cela exige en
premier lieu qu’au sein même de
l’Église nous fassions progresser l’estime, le respect et la concorde
mutuels, dans la reconnaissance de toutes les diversités légitimes, et en vue
d’établir un dialogue sans cesse plus fécond entre tous ceux qui constituent
l’unique Peuple de Dieu, qu’il s’agisse des pasteurs ou des autres chrétiens.
Ce qui unit en effet les fidèles est plus fort que tout ce qui les divise : unité dans le nécessaire, liberté dans le
doute, en toutes choses la charité.
3. En même temps,
notre pensée embrasse nos frères et
leurs communautés, qui ne vivent pas encore en totale communion avec nous,
mais auxquels nous sommes cependant unis par la confession du Père, du Fils
et de l’Esprit Saint et par le lien de la charité. Nous nous souvenons
aussi que l’unité des chrétiens est aujourd’hui attendue et désirée, même par
un grand nombre de ceux qui ne croient pas au Christ. Plus en effet cette
unité grandira dans la vérité et dans l’amour, sous l’action puissante de
l’Esprit Saint, et plus elle deviendra un présage d’unité et de paix pour le
monde entier. Unissons donc nos énergies et, sous des formes toujours mieux
adaptées à la poursuite actuelle et effective de ce but, dans une fidélité
sans cesse accrue à l’Évangile, collaborons avec empressement et
fraternellement au service de la famille humaine, appelée à devenir dans le
Christ Jésus la famille des enfants de Dieu.
4. Nous tournons donc
aussi notre pensée vers tous ceux qui
reconnaissent Dieu et dont les traditions recèlent de précieux éléments
religieux et humains, en souhaitant qu’un dialogue confiant puisse nous
conduire tous ensemble à accepter franchement les appels de l’Esprit et à les
suivre avec ardeur.
5. En ce qui nous
concerne, le désir d’un tel dialogue,
conduit par le seul amour de la vérité et aussi avec la prudence requise,
n’exclut personne : ni ceux qui honorent de hautes valeurs humaines, sans
en reconnaître encore l’auteur, ni ceux qui s’opposent à l’Église et la
persécutent de différentes façons. Puisque Dieu le Père est le principe et la
fin de tous les hommes, nous sommes tous appelés à être frères. Et puisque
nous sommes destinés à une seule et même vocation divine, nous pouvons aussi et nous devons coopérer,
sans violence et sans arrière-pensée, à la construction du monde dans une
paix véritable.
|
Gaudium
et Spes et le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise
Le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise (= DSE) cite Gaudium et Spes 168 fois.
Avant-propos
|
1-3
|
Exposé
préliminaire : La condition humaine dans le monde d’aujourd’hui
|
4-10
|
Première
partie : l’Eglise et la vocation humaine
|
11-45 / DSE :
Première partie, Troisième chapitre (La personne humaine et ses droits)
|
Chapitre
premier : La dignité de la personne humaine
|
12-22 / DSE 108-114,
115-119, 127-129, 131, 135-137.
|
Chapitre II : La
communauté humaine
|
23-32 / DSE 149-151,
164-170, 132-134, 144-148, 189-191, 192-196.
|
Chapitre III :
L’activité humaine dans l’univers
|
33-39 / DSE :
Deuxième partie, Sixième chapitre (Le travail humain)
|
Chapitre IV : Le
rôle de l’Eglise dans le monde de ce temps
|
40-45 / DSE :
Première partie, Deuxième chapitre (Mission de l’Eglise et doctrine sociale),
Troisième partie (Doctrine sociale et action ecclésiale)
|
Deuxième
partie : De quelques problèmes plus urgents
|
46-90 / DSE Deuxième
partie
|
Chapitre
premier : Dignité du mariage et de la famille
|
47-52 / Cinquième
chapitre (La famille, cellule vitale de la société), DSE 209-254
|
Chapitre II :
L’essor de la culture
|
53-62 / DSE 554-562
|
Chapitre III :
La vie économico-sociale
|
63-72 / Septième
chapitre (La vie économique), DSE 323-376
|
Chapitre IV : La
vie de la communauté politique
|
73-76 / Huitième
chapitre (La communauté politique), DSE 377-427
|
Chapitre V : La
sauvegarde de la paix et la construction de la communauté des nations
|
77-90 / Neuvième
chapitre (La communauté internationale ; DSE 428-450) et Onzième
chapitre (La promotion de la paix ; DSE 488-520)
|
Conclusion
|
91-93
|
[1] A propos de cette
problématique : Jean-Robert Armogathe (sous la direction de), Histoire générale du christianisme,
volume 2 ; PUF, 2010 ; p.1078.1079.1081.
[2] « Un Concile qui
regardait le monde pour le comprendre, non pour le condamner, avec un regard
optimiste, chargé de sympathie, qui regardait l’histoire non avec l’impression
de se trouver devant une masse d’aberrations, mais comme devant un endroit où
la Parole de Dieu était à l’œuvre » (Jean-Robert Armogathe (sous la
direction de), Histoire générale du
christianisme, volume 2 ; PUF, 2010 ; p.1081).
[3]
Discours d’ouverture du concile, n°31,
p.14.
[4] Depuis Internet est
apparu, s’est développé et a révolutionné la communication et le commerce dans
la société actuelle.
[5]
Les évêques doivent promouvoir ce « dialogue du salut » avec tous les
hommes (Christus Dominus 13).
[6] Même exigence dans le
domaine de la culture : Gaudium et
Spes 62,6.
[7] Les pères conciliaires
eux-mêmes en avaient bien conscience : « Certes, face à la variété
extrême des situations et des civilisations, en de très nombreux points, et à
dessein, cet exposé ne revêt qu’un caractère général. Bien plus, comme il
s’agit assez souvent de questions sujettes à une incessante évolution,
l’enseignement présenté ici – qui est en fait l’enseignement déjà reçu dans
l’Église – devra encore être poursuivi et amplifié. Mais, nous en avons
l’espoir, bien des choses que nous avons énoncées, en nous appuyant sur la
Parole de Dieu et sur l’esprit de l’Évangile, pourront apporter à tous une aide
valable ; surtout lorsque les fidèles, sous la conduite de leurs pasteurs,
auront réalisé l’effort d’adaptation requis par la diversité des nations et des
mentalités » (Gaudium et Spes 91,2).
[8]
Compendium de la doctrine sociale de
l’Eglise, 2005, n°451-487.
Document de la conférence des évêques de France, Enjeux et défis écologiques pour l’avenir,
2012.
[9] Par exemple Gaudium et Spes 56,3.4 ; 58,2.3 ; 59 ; 61,1 ; 62,4.6.7 ;
63,1.3.4 ; 64 ; 66,2 ; 67,3 ; 72 ; 74 ; 75 ;
76 ; 79,2.3.4 ; 80 ; 81 ; 82,2.4 ; 85,3 ; 88
et 93.
[10]
Gaudium et Spes 54.
[11] Gaudium et Spes 62,2 : « une plus grande pureté et
maturité dans leur vie de foi ». « Dans un monde marqué par la
modernité, on ne naît pas dans une religion, on choisit d’y appartenir »
(Jean-Robert Armogathe (sous la direction de), Histoire générale du christianisme, volume 2 ; PUF,
2010 ; p.1092).
[12] « Ce sont des minorités créatives
qui déterminent l’histoire. En ce sens, l’Église catholique doit être
considérée comme une minorité créative, avec un héritage de valeurs qui ne sont
pas dépassées » (26/09/2009).
[13] Cf. aussi Gaudium et Spes 88,1 : « Qu’on
évite donc ce scandale : alors que certaines nations, dont assez souvent la
majeure partie des habitants se parent du nom de chrétiens, jouissent d’une
grande abondance de biens, d’autres sont privées du nécessaire et sont
tourmentées par la faim, la maladie et toutes sortes de misères. » et Gaudium et Spes 63,3 : « Alors
que des foules immenses manquent encore du strict nécessaire, certains, même
dans les régions moins développées, vivent dans l’opulence ou gaspillent sans
compter. Le luxe côtoie la misère. Tandis qu’un petit nombre d’hommes disposent
d’un très ample pouvoir de décision, beaucoup sont privés de presque toute
possibilité d’initiative personnelle et de responsabilité ; souvent même, ils
sont placés dans des conditions de vie et de travail indignes de la personne
humaine. »
[14]
L’anthropologie chrétienne fait partie de la charge d’enseignement des évêques
(Christus Dominus 12).
[15] « L’Eglise se
trouvait poussée à renoncer à l’image de société parfaite en face des
Etats » (Jean-Robert Armogathe (sous la direction de), Histoire générale du christianisme,
volume 2 ; PUF, 2010 ; p.1082).
[16]
Blaise Pascal, Pensées, GF
Flammarion, Etonnants classiques, 2005 ; Pensée 153
[17]
Gaudium et Spes 78,1.6.
[18]
Blaise Pascal, Pensées, GF
Flammarion, Etonnants classiques, 2005 ; Pensée 164
[19]
Blaise Pascal, Pensées, GF
Flammarion, Etonnants classiques, 2005 ; Pensée 145
[20]
Blaise Pascal, Pensées, GF
Flammarion, Etonnants classiques, 2005 ; Pensée 339
[21]
Gaudium et Spes 56,4.
[22] Le Concile reconnaît le
droit à l’objection de conscience en ce qui concerne l’emploi des armes (Gaudium et Spes 79,3).
[23]
Gaudium et Spes 71,2.
[24] « Ces conciles
(Trente et Vatican I) avaient marqué une époque qui touchait à sa fin ; il
fallait en prendre acte et tourner une nouvelle page de l’Eglise »
(Jean-Robert Armogathe (sous la direction de), Histoire générale du christianisme, volume 2 ; PUF,
2010 ; p.1079).
[25] De la même manière le
Concile fait allusion au système économique communiste pour en « dénoncer
les erreurs » en même temps que celles du libéralisme capitaliste : Gaudium et Spes 65,2.
[26]
Benoît XVI, Sauvés dans l’espérance,
Bayard, Cerf, Fleurus-Mame, 2007, n°20.21
[27]
Blaise Pascal, Pensées, GF
Flammarion, Etonnants classiques, 2005 ; Pensée 225
[28]
Blaise Pascal, Pensées, GF
Flammarion, Etonnants classiques, 2005 ; Pensée 40
[29]
Jean Guitton, Dialogues avec Paul VI,
Fayard, 1967, p.277.
[30] Ce que le chapitre V de Lumen Gentium désigne avec l’expression
« appel universel à la sainteté ».
[31]
Gaudium et Spes 65,3 ; 67,2 ;
68,2 ; 71,4.6 ; 74,1.2.4 ; 75,2.5 ; 78,1 ; 82,3 et
84,1.
[32] Affirmation identique
dans le domaine de la culture, Gaudium et
Spes 59,1, dans celui de la vie économico-sociale, Gaudium et Spes 63,1.
[33]
Gaudium et Spes 84,2.
[34]
Gaudium et Spes 73,2.
[35]
Maurice Zundel, Je est un autre, Éditions
Anne Sigier, 1986, p. 186. Gaudium et
Spes 71,1.2.
[36]
http://www.20minutes.fr/societe/877740-controverse-contraception-etats-unis-obama-annonce-compromis
[37]
http://leblogdejeannesmits.blogspot.com/2009/05/un-avorteur-assassine-aux-etats-unis.html
[38]
http://www.rue89.com/explicateur/2009/08/23/la-reforme-du-systeme-de-sante-americain-expliquee-aux-nuls
[39] Gaudium et Spes 79,2 (« Parmi ces actions, il faut compter en
tout premier lieu celles par lesquelles, pour quelque motif et par quelque
moyen que ce soit, on extermine tout un peuple, une nation ou une minorité
ethnique : ces actions doivent être condamnées comme des crimes affreux, et
avec la dernière énergie. Et l’on ne saurait trop louer le courage de ceux qui
ne craignent point de résister ouvertement aux individus qui ordonnent de tels
forfaits») et 80,4
(« Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de
villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre
Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans
hésitation »).
[40]
Gaudium et Spes 78,2.
[41]
Gaudium et Spes 73,3.
[42]
Affirmation identique à propos du « droit à la culture » : Gaudium et Spes 60,1.
[43] Gaudium et Spes 57,4 : « Par le fait même, l’esprit
humain, moins esclave des choses, peut plus facilement s’élever à l’adoration
et à la contemplation du Créateur. »
[44]
Gaudium et Spes 75.
[45] Cf. aussi Gaudium et Spes 67,2.
[46] Gaudium et Spes 57,1 : « Les chrétiens, en marche vers la
cité céleste, doivent rechercher et goûter les choses d’en haut, mais cela
pourtant, loin de la diminuer, accroît plutôt la gravité de l’obligation qui
est la leur de travailler avec tous les hommes à la construction d’un monde
plus humain. Et, de fait, le mystère de la foi chrétienne leur fournit des
stimulants et des soutiens inappréciables : ils leur permettent de s’adonner
avec plus d’élan à cette tâche et surtout de découvrir l’entière signification
des activités capables de donner à la culture sa place éminente dans la
vocation intégrale de l’homme. »
[47]
Gaudium et Spes 63,3.
[48]
Gaudium et Spes 57,2 : l’homme
« se cultive lui-même » à travers son activité.
[49] Le concile reconnaît
aussi l’autonomie du monde de la culture et des sciences (Gaudium et Spes 56,6 et 59,3).
[50]
Gaudium et Spes 72,1.
[51]
Liturgie des Heures, Volume 3, Office
des lectures du samedi de la 21e semaine du temps ordinaire, p.472.
[52]
Sur le travail humain : Gaudium et
Spes 67.
[53] Benoît XVI cite cette
objection de Nietzsche dans son encyclique Dieu
est amour (n°3).
[54] Les évêques enseigneront,
selon la doctrine de l’Eglise, « combien il faut estimer la personne
humaine, sa liberté et sa vie corporelle » (Christus Dominus 12).
[55] Gaudium et Spes 88,1 : « L’esprit de pauvreté et de
charité est, en effet, la gloire et le signe de l’Eglise du Christ ».
[56] « Cela revenait à
mettre en cause le principe de chrétienté, de parler de la fin de l’époque
constantinienne… Les conséquences d’un tel texte sont évidentes : c’est la
disparition du modèle typique de l’ancien régime, considérant la religion et ses
ministres comme le fondement unique légitimant le pouvoir politique »
(Jean-Robert Armogathe (sous la direction de), Histoire générale du christianisme, volume 2 ; PUF,
2010 ; p.1082).
[57] Cf. aussi Gaudium et Spes 76,4.5 : « 4.
Lorsque les Apôtres, leurs successeurs et les coopérateurs de ceux-ci, sont
envoyés pour annoncer aux hommes le Christ Sauveur du monde, leur apostolat
prend appui sur la puissance de Dieu qui, très souvent, manifeste la force de
l’Évangile dans la faiblesse des témoins. Il faut en effet que tous ceux qui se
vouent au ministère de la parole divine utilisent les voies et les moyens propres à l’Évangile qui, sur bien des points,
sont autres que ceux de la cité terrestre. 5. Certes, les choses d’ici-bas
et celles qui, dans la condition humaine, dépassent ce monde, sont étroitement
liées, et l’Église elle-même se sert d’instruments temporels dans la mesure où
sa propre mission le demande. Mais elle
ne place pas son espoir dans les privilèges offerts par le pouvoir civil.
Bien plus, elle renoncera à l’exercice
de certains droits légitimement acquis, s’il est reconnu que leur usage peut
faire douter de la pureté de son témoignage ou si des circonstances nouvelles
exigent d’autres dispositions. »
[58]
Maurice Zundel, Croyez-vous en
l’homme ?, Cerf, foi vivante, 1992, p.55-57.61.62
[59] Dans son discours
d’ouverture le pape Jean XXIII se réjouissait de la liberté d’action de
l’Eglise (n°17 ; p.10). Le Concile demande aussi aux autorités civiles de
respecter la liberté de l’Eglise dans la nomination des évêques et de renoncer
« à ces droits et privilèges dont elles jouissent actuellement en vertu
d’une convention ou d’une coutume » (Christus
Dominus 20). Sur la liberté des évêques et leurs rapports avec les pouvoirs
publics : Christus Dominus 19.
[60]
Gaudium et Spes 58, 2.3.
[61] Cf. aussi Gaudium et Spes 62,7 : « Bien
plus, il faut souhaiter que de nombreux laïcs reçoivent une formation
suffisante dans les sciences sacrées, et que plusieurs parmi eux se livrent à
ces études ex professo et les approfondissent. Mais, pour qu’ils puissent mener
leur tâche à bien, qu’on reconnaisse aux fidèles, aux clercs comme aux laïcs,
une juste liberté de recherche et de pensée, comme une juste liberté de faire
connaître humblement et courageusement leur manière de voir, dans le domaine de
leur compétence. » Christus Dominus
10.17.
[62]
http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/homilies/documents/hf_jp-ii_hom_20000312_pardon_fr.html
[63]
http://www.eglise.catholique.fr/actualites-et-evenements/dossiers/anniversaire-de-vatican-ii/rassemblement-a-lourdes/temoignage-du-cardinal-roger-etchegaray-13942.html
[64] Dans le chapitre consacré
à la vie de la communauté politique le Concile semble être favorable au système
démocratique (même si le mot de « démocratie » n’est pas employé) en
raison même de la nature humaine : Gaudium
et Spes 74,3 et 75,1.6.
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